Numéro spécial par Timothée Parrique (auteur de Ralentir ou périr - L’économie de la décroissance)

L’être humain a autant besoin de nature que de liberté, mais la civilisation industrielle menace la première autant que la seconde  — Bernard Charbonneau

« Pas de compétition! La compétition est toujours nuisible (…). C’est le mot d’ordre que nous donnent le buisson, la forêt, la rivière, l’océan. Unissez-vous! Pratiquez l’entraide! C’est le moyen le plus sûr pour donner à chacun et à tous la plus grande sécurité, la meilleure garantie d’existence et de progrès physique, intellectuel et moral². » — Pierre Kropotkine, l’entraide 1902 (qui démystifie le darwinisme social)

Dette: s’en libérer pour décroître — Nastadia Hadjadji et Vincent Berger

La dette est un sujet radioactif. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les débats sur le sujet - en France comme ailleurs dans le monde -et analyser les réactions qils suscitent, de part et d’autres du spectre politique. À droite, on s’affole de la « spirale du déficit», l’orthodoxie néolibérale réduisant la dette à un excès de dépenses ou à une insuffisance de recettes tout en plaidant pour une gestion équilibrée « en bon père de famille ». Au niveau européen, les institutions se chargent de veiller à ce que les États ne s’endettent pas au-delà du seuil de 3% du PIB, sous peine de se voir sanctionnés pour non-respect des règles budgétaires. La solution à ce supposé laisser-aller se trouvant le plus souvent dans la mise en place de « cures » d’austérité. Une expression qui laisse peu de place au doute: pour les économistes orthodoxes, la dette est une maladie dont il s’agit de se purger. Le sujet divise également la gauche. Alors que la nécessité de s’endetter pour financer les investissements pour une justice écologique et sociale semble faire l’objet d’un consensus, la question des seuils d’endettement et des conséquences économiques de tels choix suscite la discorde. Un climat de suspicion autour de l’idée d’endettement que l’on retrouve jusque dans le mouvement décroissant : l’augmentation de l’endettement public ne serait-il pas contraire au besoin de décroissance des flux financiers, matériels et physiques ? Mais que sait-on véritablement de la dette? Bien peu de choses, si l’on en croit l’économiste et haut fonctionnaire Nicolas Dufrêne. « Rien n’est à l’endroit en matière de dette », s’amuse autant que se désole l’auteur de plusieurs ouvrages qui alimentent la réflexion sur ce sujet dans les cercles de gauche, par exemple sur le sujet de l’annulation sous conditions des dettes publiques. Le dernier en date, La Dette au XXI siècle. Comment s’en libérer (Odile Jacob, 2023), est un essai proprement radical, en ce qu’il s’attache à prendre le sujet à la racine afin de proposer des Solutions neuves pour « bâtir un nouvel ordre monétaire qui nous émancipe enfin de notre rapport sacrificiel à la dette ».

Une faute morale

Cette réflexion originale s’inscrit dans la continuité des travaux de l’anthropologue anarchiste David Graeber. Dans son ouvrage Dette. 5 000 ans d’histoire (Les Liens qui libèrent, 2013), cette figure de la pensée contemporaine, disparu en 2020, rappelait la filiation judéo- chrétienne de notre rapport à la dette, celle-ci étant communément associée à la faute morale et le défaut de remboursement au péché. Ce qui n’a pas empêché la multiplication des cas de défaut de la part de cités ou d’États au cours de l’histoire, soulignait-il, sans effets majeurs sur les grands équilibres économiques. David Graeber y voyait l’illustration que, contrairement à un préjugé ancré dans l’opinion, pour dépenser de l’argent il n’est pas nécessaire de le gagner au préalable et donc de le mériter. «Nous n’avons pas “tous” à payer nos dettes, écrit-il. Seulement certains d’entre nous. Rien ne serait plus bénéfique que d’effacer entièrement l’ardoise pour tout le monde, de rompre avec notre morale coutumière et de prendre un nouveau départ. » Comment justifier une telle approche que d’aucunsjugent hérétique, voire dangereusement révolutionnaire ? Au nom de l’autodestruction vers laquelle la machine capitaliste nous entraîne chaque jour plus inexorablement, répond David Graeber, « La mesure ultime de l’humanité en tant qu’espèce est son aptitude à accroître la production mondiale de biens et services d’au moins 5 % par an. Si nous le faisons, il est probable que nous allons tout détruire. Cette machine géante de la dette qui, pendant les cinq siècles derniers, a réduit un pourcentage croissant de la population mondiale à être l’équivalent moral des conquistadors, se heurte clairement à ses limites sociales et écologiques. » En sacrifiant à la nature morale de la dette, c’est l’humanité que nous sacrifions, nous dit l’anthropologue. Verrou de la dette Pour le comprendre, il faut observer à la loupe le lien qui unit monnaie et dette dans les économies néolibérales. « Dans notre modèle, la création monétaire se fait en contrepartie d’une dette, pointe Nicolas Dufrêne. Or pour la rembourser, il est nécessaire de générer un surplus de profit, la rentabilité et la solvabilité étantà la base du principe de crédit bancaire. » Ce lien consubstantiel entre création monétaire et émission de dette, dans un contexte d’extractivisme économique, a fait le lit d’un paradoxe: nous devons investir massivement pour financer la reconstruction écologique, mais mobiliser les ressources financières ad hoc (510 milliards d’euros par an d’investissements publics pour atteindre la seule neutralité carbone, selon I’institut Rousseau) nous expose à un accroissemnent exponentiel de notre dette et des intérêts qui lui sont associés. Parfois même, ces projets peinent à être financés. Car la protection de la biodiversité, les efforts de rénovation thermique et de construction de nouvelles infrastructures décarbonées ne sont pas rentables pour les créanciers. Cet endettement massif -et pourtant nécessaire- est aussi fréquemment associé à un «fardeau pour les générations futures » que les économistes orthodoxes s’empressent de mobiliser pour justifier leurs coupes franches dans les budgets, en particulier celui de l’écologie. Début 2024, le gouvernement Attal a ainsi décidé d’amputer le budget du ministère de l’Écologie. Celui-ci est passé de 2,5 milliards à 1 milliard pour I’année 2025. « Tous nos débats sont placés sous le signe de la contrainte financière avant d’étre placés sous le siane de l’utilité sociale, des besoins », se désole Nicolas Dufrêne. Et de résumer: « Le verrou du remboursement de la dette nous contraint à faire des choix de court terme qui nous orientent dans la direction inverse de celle que nous devrions collectivement prendre. »

Monnaie libre de dette

En tant qu’outil privilégié du financement écologique, la monnaie libre de dette est au cœur de plusieurs travaux économiques récents. Monnaie écologique » chez Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne ou encore « monnaie émancipatrice». « Monnaie volontaire » chez Jézabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron. Toutes et tous convergent autour de l’idée que, pour parvenir à la sobriété, il faudra des investissements massifs, et donc s’endetter. Mais différemment ! C’est-à-dire en injectant dans l’économie un surplus monétaire, sans obligation de remboursement mais avec l’impératif de financer des investissements utiles à la société. Alors comment dépasser ce statu quo terrible qui nous condamne à l’inaction climatique et aux reculs sociaux ? Une partie de la réponse pourrait tenir en une boutade: il faut créer de «l’argent magique », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron. C’est-à-dire mettre sur pied un canal de création monétaire libre de dette. placé sous strict contrôle démocratique. Ce nouveau paradigme est aux antipodes du principe de l’austérité, qui consiste à réaliser des saignées dans les finances publiques pour les « assainir » et retrouver un équilibre budgétaire conforme aux règles édictées par l’Union européenne. « L’austérité ne fonctionne pas », assure Nicolas Dufrêne. C’est un mécanisme qui consiste à «pratiquer des saignées sur un corps déjà malade. Et revient donc à l’affaiblir encore plus. » Les politiques austéritaires conduisent généralement à une dégradation de l’action publique, les services publics étant moins financés et le budget de fonctionnement des collectivités territoriales restreint. Les politiques austéritaires sont inadaptées car le propre de nos économies est que la « charge » de la dette (c’est-à-dire la progression des intérêts à rembourser) progresse plus vite que la création de richesses susceptibles de permettre ce remboursement. Pour ne pas étouffer sous son poids -qui s’alourdit depuis la remontée des taux d’intérêts décidée par la Banque centrale européenne-,il faut donc se dégager de cet étau, en annulant le remboursement d’une partie des titres de dette émis par les États. Mais aussi ouvrir un nouveau champ de financement grâce a la monnaie libre de dette.

La Banque centrale est le seul acteur qui peut se permettre de mettre en euvre cet outil monétaire. Pourquoi? Parce qu’en tant qu’institution encadrant la création monétaire, elle ne craint pas les effets sur son bilan comptable. Si l’on s’extrait du corset doctrinal qui régit son action depuis des dizaines d’années, on constate qu’une banque centrale ne peut pas faire faillite, elle peut théoriquement s’endetter à l’infini et a la capacité d’annuler certains titres de dette qu’elle détient. Mais une telle action ne peut pas s’effectuer sans conditions.

Aussi, dans l’approche hétérodoxe de la monnaie libre de dette, il est fondamental que son action soit placée sous contrôle démocratique strict.

Parlement du crédit et de la monnaie

Nicolas Dufrêne l’affirme haut et fort:la notion d’équilibre budgétaire est un totem du passé. Les défis contemporains nous obligent au contraire à assumer le déséquilibre budgétaire. Ce qui suppose toutefois de nombreuses innovations, à la fois institutionnelles et politiques. Car dans le paradigme de la « monnaie émancipatrice », la monnaie est envisagée comme un bien commun placé sous contrôle démocratique. En clair, il est nécessaire que les projets financés par cet «argent magique » Soient délibérés collectivement par des assemblées de citoyens, de collectivités territoriales et de décideurs publics. L’idée n’est pas neuve. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) envisageait la création d’un « Parlement du crédit et de la monnaie », rappelle le haut-fonctionnaire. Une Institution qui n’a connu qu’une brève existence liée au contexte de sortie de guerre, mais dont la vocation était d’associer les citoyens aux grandes décisions de politique économique. Réhabiliter et faire advenir une telle institution semble plus que jamais nécessaire. Mais parvenir à ce renversement complet de la perspective suppose toutefois de penser contre nombre de certitudes, en particulier celles gravées dans le marbre de la doxa néolibérale.

Panique morale

Chaque année, la rentrée du mois de septembre inaugure les discussions à propos du budget pour l’année à venir. Chaque année, la panique morale autour d’une possible « faillite de l’État français » reprend et les cris d’effroi quant à la « spirale du déficit» font la une des médias de tous bords. Illustrant le fait que la dette est un sujet éminemment politique, à la merci de toutes les manipulations, comme celle qui consiste à brandir devant les citoyens une menace aux contours flous, dont ils peinent à se saisir.

« La dette est un argument d’autorité idéal qui permet de refuser universellement tout ce qui va dans le bon sens. Elle permet de justifier toutes les réformes structurelles et d’autoriser tous les sacrifices », se désole Nicolas Dufrêne.

Parfois, elle est même instrumentalisée pour faire passer des politiques d’austérité au nom de l’impératif de sobriété. L’économiste et haut fonctionnaire en est pourtant convaincu:la dette et la monnaie ne sont pas le cœur du problème, mais bien la solution pour faire face aux défis contemporains. Parvenir à imposer cette idée suppose toutefois de mettre au rebut deux siècles de pensée économique. Un programme décroissant autant que révolutionnaire.

Remettre le travail à sa place

Casser la matrice de la croissance, intenable dans un monde fini où la production est moins source de valeur ajoutée que de coûts sociaux et écologiques, implique de questionner la place du travail dans un horizon décroissant. Mais s’autoriser àl’interroger revient à heurter un, si ce n’est le pilier de notre société de croissance, fondée sur la logique «travailler plus pour gagner plus pour consommer plus ». En témoignent les crispations immédiates que suscitent les débats sur la décroissance, où l’avenir du travail est souvent l’un des premiers arguments de ses détracteurs pour délégitimer le projet. Sur le plan moral, il lui est reproché de s’attaquer à la «valeur travail » et de promouvoir une oisiveté entendue comme fainéantise. Sur le plan socio-économique est agité le chiffon rouge de la catastrophe sociale à venir. Cette place centrale accordée au travail, indépendamment de sa finalité, est d’autant plus paradoxale que le but d’une économie est de « contenter les besoins de tous de la façon la plus parcimonieuse possible en utilisant le moins de ressources et le moins de travail », explique l’économiste Timothée Parrique. Outre I’urgence écologique, d’autres symptômes d’un malaise autour du travail et de ses conditions invitent à s’y pencher: perte de sens et bullshit jobs décorrélés de l’utilité sociale, métiers « essentiels » désertés et dépréciés, burn-out… Mais la survalorisation du travail complique la discussion sur cette notion chargée d’affect et ambiguë, qui recouvre des réalités diverses tout en occultant nombre d’autres activités (bénévolat, aidants, etc), « La question du travail est un champ de controverses, un conflit politique qui ne se résoudra pas par les experts mais qui exige un débat de société », pose d’office la philosophe Celine Marty. On distingue néanmoins deux positions chez les décroissants : garder le plein emploi comme horizon ou critiquer la centralité du travail salarié. La première approche consiste à défendre le découplage entre décroissance de la production et croissance de l’emploi. Un discours qu’ont soutenu en partie des chercheurs - la sociologue Dominique Méda, l’économiste Jean Gadrey- et surtout des politiques, comme François Ruffin. L’autre approche, plus inspirée de l’anarchisme et du libertarisme, dans la lignée du pionnier de l’écologie politique André Gorz, juge la décroissance indissociable d’une remise en cause radicale du travail salarié. Comme l’écrit Céline Marty, cette position appelle à « découpler la distribution de ressources nécessaires à la satisfaction de besoins de l’emploi marchand ». D’autres mobilisent le « post-work » ou « détravail ». Pour l’économiste Baptiste Mylondo, il s’agirait de «briser le monopole de l’emploi comme source d’utilité sociale, de reconnaissance sociale et d’estime de soi ». Si elle rejette aussi le travail salarié et son contrôle, la pensée de la subsistance -étudiée dès les années 1970 par Maria Mies et Veronika Bennholdt- réinvestit la notion de travail en s’inspirant de l’économie de subsistance préindustrielle, qui était fondée sur un labeur d’abord dédié à répondre à ses propres besoins. Le philosophe Aurélien Berlan, qui s’inscrit dans cette lignée, déplorait ainsi à gauche une dérive « de la critique du salariat et du travail industriel vers la critique du travail comme rapport à la “nature”, à la “nécessité”, à la matérialité du monde » - une aspiration pour lui «aristocratique ». Travailler pour produire quoi ? La redéfinition du travail dans la décroissance dépendra d’abord de ce que l’on décide de produire. À cet égard, les défenseurs du « plein emploi » vont penser la substitution du travail humain par la machine (par exemple en agroécologie), la réorientation des emplois des secteurs voués à disparaitre - le pétrole, l’aéronautique - vers des filières utiles a l’objectif de neutralité carbone (rénovation énergétique, recyclage, renouvelable… et le réajustement du marché de l’emploi par la reconversion, le tout orchestré par une forte intervention étatique: il s’agit de planifier une baisse de la productivité aux profits de gains en qualité et en durabilité. Cela peut passer par la «garantie d’emploi», idée venue de l’économiste americaine Pavlina Tcherneva, qui consiste à faire financer à l’État des emplois décents en fonction de besoins locaux identifiés (soins aux personnes, à l’environnement). Le but est de lutter contre le chômage et de démarchandiser le travail en offrant une alternative utile aux emplois privés indésirables. En France, c’est le principe des Entreprises à but d’emploi (EBE) mises en place dans les Territoires zéro chômeur de longue durée. Cette vision entend rendre effectif le « droit au travail » sans le questionner, et attaque moins frontalement le contenu de la production que les anarchistes et les libertaires : chez André Gorz, l’enjeu est de travailler moins pour produire moins, toute production étant destructrice de ressources. Là où le capitalisme industriel a fait de la création d’emplois une fin en soi, menant à l’absurdité des bullshit jobs ou de métiers visant à réparer les impacts de la production, le travail ici est réduit à un rôle purement utilitaire, en autolimitant les besoins que la société de croissance a démultipliés. Selon Baptiste Mylondo, quatre critères sont essentiels pour repenser ces besoins: l’écologie, le social, la pertinence et le suffisant. «Si déjà on répondait aux nécessités matérielles de base de tout le monde, on ferait un grand progrès », souligne Céline Marty. Et d’ajouter que cela exigera « du débat, des rapports de force, de la conflictualité, bref, de la politique, et pas des arbitrages techniques monopolisés par quelques-uns ». En outre, suggère Baptiste Mylondo, une mesure comme le revenu sans condition peut accélérer la fin de certaines activités et être facteur de décroissance, en « levant en partie le chantage à l’emploi qui surgit aujourd’hui quand on remet en cause la pertinence de telle activité ou telle entreprise ». Enfin, la réappropriation des moyens de subsistance est cruciale pour accompagner cette démarche. Aurélien Berlan, qui défend l’autonomie-vision renouvelée d’une liberté « dans la nécessité » contre le «fantasme de la délivrance » vendu par le capitalisme industriel -pointe que les besoins sont d’office bornés si l’on doit y répondre par soi-même, tandis qu’« on peut les multiplier à l’infini » si on laisse à d’autres le soin de nous vêtir et nous nourrir.

Déspécialiser le travail

Or déléguer est le cœur de l’organisation actuelle du travail : « Plutôt que de réduire le temps de travail global pour permettre à chacun de satisfaire certains besoins » résume Céline Marty. Le capitalisme industriel repose sur une hyper-specialisation des tâches au sein des structures et une division sociale dont la marchandisation des tâches techniques et domestiques (cuisine, garde d’enfants), déléguées à des professionnels ou à des travailleurs précaires, est le paroxysme. Ce qui induit des rapports de domination entre les classes mais aussi entre les genres - car, rappelle Geneviève Pruvost, sociologue du travail et du genre, «l’émancipation féminine occidentale par le capitalisme repose toujours sur l’exploitation d’autres femmes ». Cette vision plus égalitaire induit aussi un changement profond au sein des entreprises. Éradiquer ces rapports de domination, qui est aussi un objectif partagé de la décroissance, implique donc de désamorcer la spécialisation en nous re-répartissant les tâches. La sociologue invite ainsi à s’inspirer de la polyactivité très forte au sein des alternatives rurales contem- poraines quelle a suivies sur le terrain, comme des sociétés de subsistance passées. Mais il nous faudra pour cela ré-acquérir les compétences et savoir-faire que nous avons perdus à force de les déléguer. Dans ce contexte, la place de la technologie doit aussi être interrogée dans sa pertinence, « pour qu’elle ne décale pas la pénibilité ailleurs sous couvert d’alléger notre peine », alerte Baptiste Mylondo.

Cette vision plus égalitaire induit aussi un changement profond au sein des entreprises.

Ainsi substituer la coopération aux rapports hiérarchiques permet de démocratiser davantage le travail. Pensons aux Scop, entreprises autogérées, coopératives, communautés de travail… qui redonnent de la place à la délibération collective. Cette organisation implique cependant un changement d’échelle, à rebours des organisations industrielles mondialisées,

Une culture du temps libre

Dès que l’on sort de la logique d’efficacité et d’accelération que sous-tend le rythme de la production industrielle, se pose la question du temps. Aujourd’hui, le temps libre n’existe que par rapport à celui consacré à notre emploi et reste ainsi captif de la « rationalité économiste capitaliste », écrit Céline Marty. Économie du divertissement, tourisme, activités visant à nous détendre d’un travail stressant… « Nous n’avons pas fondé une culture adaptée à ce temps disponible », décrypte la philosophe. La décroissance nous rendrait alors une prise sur ce temps. Que ce soit pour désintensifier le travail à des fins sociales et écologiques, ou pour extraire notre temps du contrôle bureaucratique dans une approche libertaire, plusieurs leviers concrets seraient possible : le droit inconditionnel au temps partiel choisi, la baisse du temps de travail, la possibilité de le répartir au cours de sa vie ou encore le revenu universel sans condition. Comment réinvestirions-nous ce temps? sinquiètent les défenseurs de la « valeur travail » qui voient dans l’aspiration au temps libre la revendication provocatrice du droit à la paresse», comme s’il n’existait d’activité valable et socialisante que le travail, « Le temps libre n’est pas un temps vide », répond Céline Marty. qui reprend la distinction d’André Gorz entre activités hétéronomes (contraintes) et autonomes (qui valent intrinsèquement, en dehors de la nécessité). Il s’agit d’accroître au maximum le temps consacré à ces dernières (liens sociaux, soin, activités culturelles) et de minimiser les premières. « Pour moi, le temps libéré est la principale promesse de la décroissance », estime Baptiste Mylondo. Les partisans de la subsistance qui au contraire se ressaisissent de l’idée de travail (élargie à toutes les tâches domestiques, reproductives, militantes), ne revendiquent pas cette séparation des sphères entre temps de travail et temps libre que Geneviève Pruvost qualifie même de «fantasme très industriel ». Pour elle, il s’agit « de réintégrer soin et plaisir au coeur de l’activité de travail » en lui rendant « un rythme tranquille, joyeux et respectueux », Ce qui n’empêche pas des logiques d’économie d’efforts’” en priorisant certaines productions ou chantiers. « Les chas- seurs-cueilleurs comblaient leurs besoins en travaillant trois à quatre heures par jour , rappelle d’ailleurs Aurélien Berlan.

Une maximisation du temps disponible qui passe notamment par l’importance donnée au repos et à la saisonnalité du travail. Approche aussi inspirante dans une perspective d’adaptation aux conditions climatiques incertaines dans lesquelles nous aurons à évoluer.

Critique du commerce international

À la fin des années 1960, une analyse critique du commerce international développée autour du concept d’échange inégal est proposée par Arghiri Emmanuel (L’Echange inégal, F. Maspero, 1969). Léchange inégal fait référence à l’exis- tence d’inégalités entre les pays du Nord (dits développés) et les pays du Sud (dits en développement), inégalités résultant d’un processus d’exploitation du fait de l’existence d’écarts de rémunération du facteur travail entre les pays. Plus tard, en 1998, les travaux de l’anthropologue Alf Hornborg vont situer l’échange inégal dans une perspective écologique en inscrivant les rapports socio-écologiques dans un système capitaliste mondial. La notion d’échange écologique inégal est appréhendée comme source sous- jacente de la plupart des conflits liés à la répartition de l’environnement entre les centres (États, ensemble d’États, grandes métropoles) et la péri- phérie (zones situées dans des espaces dominés, pays en développement, anciennes colonies). C’est à partir de l’examen des conditions écologiques des économies (en termes de flux bio- physiques) qu’il est possible de rendre compte des mécanismes qui génèrent des inégalités de distribution des res- sources naturelles. Ces mécanismes s’appuient sur une concurrence entre les firmes à l’échelle de l’économie mondiale pour réaliser une accumula- tion illimitée de capital et assurer une domination sur les territoires dotés de ressources naturelles, territoires qui subissent directement les externalités négatives associées aux activités extractives. Ces externalités sont par exemple les pollutions des rivières, les dégradations des sols, la surexploita- tion des écosystèmes - forêts, gisements miniers, terres cultivées pour les produits agricoles comme la canne à sucre lors du commerce triangulaire, le coton d’Inde ou encore le caoutchouc du Brésil… -, ainsi qu’un ensemble d’impacts néfastes sur la santé des populations exploitées. Pour Hornborg, I’échange est un jeu à somme nulle : ce qui est gagnė par les uns (pays riches dotés du capi- tal nécessaire pour l’exploitation des ressources et des technologies les plus avancées) est perdu par les autres (sur les territoires périphériques localisés dans les pays pauvres). Il y a une appropriation à bas coût d’énergie et de ressources naturelles destinées à être transformées en produits afin d’être exportées vers les grands centres mondiaux où se situe la demande, et cette production s’accompagne de pollutions, de dégradation des écosystèmes locaux et des relations sociales dans les pays qui détiennent ces ressources. Dans ce contexte, la production génère à la fois une destruction écologique ainsi que des inégalités mondiales entre le centre et la périphérie. Cette perspective montre que les stratégies déployées par des acteurs puissants s’inscrivent dans l’exploitation de la nature avec pour seul objectif l’accaparement des ressources et des terres à des fins de croissance. L’échange écologique inégal représente une grille d’analyse pertinente pour comprendre la division du travail à l’échelle mondiale. Depuis le développement du capitalisme avec la révolution industrielle en Europe, c’est un système d’échange d’énergie et de matière délétère qui s’est installé et semble ignorer les limites biophysiques de la biosphère. Ces travaux montrent ainsi ce que les analyses traditionnelles commerce ne permettent pas de révéller, car elles s’appuient sur les seuls échanges monétaires.

Demain l’exode urbain — Morgane Jacob

Au carrefour de ces quatre destins, Sébastien Marot se considère « au plus près de la sécession, penchant vers l’infiltration, avec une tolérance modeste et conditionnelle pour la négociation et une défiance instinctive pour l’incorporation ». Il faut ainsi selon lui «passer de la mine aujardin », de l’extraction de matériaux de construction emblématiques de la ville, polluants et toujours plus rares -le béton, le verre et l’acier en tệte-, à la culture de ressources renouvelables, comme le bois.

La voie ruraliste

Choisi ou subi, le « grand déménagement » de l’urbanité vers la ruralité pourrait survenir dans les prochaines décennies; mais il pose la question de l’échelle et de l’organisation de nouvelles sociétés déconcentrées et décentralisées. Membre de la Société écologique du post- urbain, Guillaume Faburel formule l’idée d’une « Cité des 4 000», en référence au quartier de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis. Dans ces groupements humains peuplés de 20 à 30 000 habitants tout au plus, serait répartie une surface de 4 000 m² par habitant pour répondre à tous ses besoins essentiels (alimentaires par l’agriculture vivrière, énergétiques, ou encore d’accès à l’eau ou à la mobilité). Le géographe estime qu’à l’échelle nationale, l’espace nécessaire pour permettre à ce modèle de fonctionner (48% du territoire hexagonal) correspond à la surface actuellement artifi- cialisée lorsque sont pris en compte le bâti, les infrastructures, les zones commerciales et indus- trielles ainsi que la part de l’agriculture intensive dans la surface agricole utile. Les périphéries des grands centres urbains et les espaces ruraux constituent ainsi un vaste terrain à reconquérir. En conjuguant sobriétė, agroécologie et repeuplement des habitats vacants, qu’il s’agisse de résidences secondaires ou de logements délaissés à réhabiliter (respectivement au nombre de 3,2 et 3,1 millions en France), un chemin se dessine vers des villes moins denses, mais autonomes. Guillaume Faburel considère que ces nouvelles communautés doivent suivre trois grands principes:« Habiter, coopérer, autogérer », c’est-à-dire vivre en tenant compte du territoire, de manière solidaire et décentralisée. Il trouve les manifestations contemporaines de ce mode de vie dans les écolieux, au nombre d’un millier en France. Résolument écologistes, ils développent des modèles politiques et économiques alternatifs, et une vie collective tournée autour du partage de savoirs et de l’entraide. La sobriété de cette vie commune devient alors synonyme de convivialité, telle que l’entendait Ivan Ilich, pourfendeur des sociétés industrielles, en intensifiant les rapports humains par la mutualisation d’outils et un regain de solidarités. C’est donc davantage un exode métropolitain quurbain qui pourrait se profiler à l’horizon de la décroissance, façonnant ainsi une vie alternative hors des grandes villes,une réinvention de la ville davantage rythmée par la nature qui l’entoure, apaisée et inscrite dans une sociabilisation immédiate. Ni consumériste ni survivaliste, Guillaume Faburelqualifie cette voie de «ruraliste »: « Au plus près de l’environnement, on devient un peu moins marchand. ILfaut changer de mode d’habiter. Le tout-bio tout-vélo tout-écolo des politiques métropolitaines ne changera rien à la réalité. Il s’agit de construire une autre culture du vivant, celle du soin, de l’attention aux limites, de l’humilité et de la responsabilité. »

La néo-paysanne subsistante

Plutôt que de vous fatiguer à plaider pour un monde juste et soutenable, vous mettez toute votre énergie à construire le vòtre. Lassée de l’inertie des pouvoirs politiques et révoltée contre l’exploitation industrielle planėtaire, vous avez décide de reprendre la main sur vs conditions de vie en marge du système capitaliste. Installée au fin fond de la campagne où vous avez trouvé refuge, vous faites de votre existence quotidienne votre propre révolution. Vous cultivez votre liberté depuis un lopin de terre où vous assurez votre subsistance et organisez votre autonomie matérielle à petite échelle.

Inspirée par la célèbre sociologue et activiste allemande Maria Mies - dont vous regrettez le peu de traductions en français , vous embrassez pleinement ses revendications écoféministes et décoloniales. Comme elle l’affirme avec sa comparse Veronika Bennholdt : «La perspective de la subsistance consiste à décoloniser les trois colonies du capital: la nature, les femmes et le Sud’. » Comme elle, vous aspirez à une profonde réorganisation du travail -domestique, productif, nourricier -, qui privilégie la subsistance à la marchandisation, l’entraide à la subordination. « La liberté ne peut pas s’affranchir de la nécessité >», écrit la sociologue Geneviève Pruvost, spécialiste des féminismes de subsistance, et vous êtes bien d’accord ! Or, cela exige de repenser radicalement « qui fait quoi?», pour reprendre ses mots. C’est-à-dire, comment organiser le maintien et le soin de la vie sans hiérarchie de genre, de race ou de classe ? Là est tout votre combat. Faire vivre un monde où la majorité de la production, circulation et consomnmation des biens de nécessité se fait de façon localisée, dans la limite des ressources (humaines et non humaines) et des besoins propres à un territoire. Faire vivre une société multiple, décentralisée, faite d’une toile de communautés oeuvrant à leur échelle, dans le respect des rapports humains et des équilibres écologiques. Par cette réappropriation, vous espérez renverser les dominations patriarcales et coloniales sur lesquelles l’ascension du capitalisme s’est construite. En révolutionnaire du quotidien, vous fabriquez votre mode de vie autosuffisant affranchi des circuits mondialisés. Entre activité vivrière et ménagère, vos journées s’organisent au rythme des besoins du potager, des animaux et du foyer. Et quelle que soit la tâche, vous vous y attelez. Femme autonome certes, mais pas autarcique, vous vivez au sein d’un écosystème foisonnant d’amies, de connaissances et de voisins pour faire tourner votre quotidien :un réseau d’« entre- subsistance » avec ses propres fonctionnements économiques et politiques pour tenir dans le temps. Avec les habitants du coin, vous formez un îlot de résistance où la théorie politique se mêle à la pratique. Une vie collective et informelle faite de bric et de broc, de débrouille, de coups de main et d’huile de coude qui combine le vivre-ensemble et le bon-vivre. Chez vous, le politique prend corps dans la vie domestique et fait germer la résistance à l’arrière-cour des luttes écologiques.

Pour un hédonisme alternatif

Savez-vous reconnaitre un cornucopien? Nul besoin de compétences naturalistes. il ne s’agit pas d’une bestiole rare. De cornu copiae, en latin «la corne d’abondance », le terme désigne une personne qui croit avec ferveur dans la possibilité de repousser indéfiniment les limites écologiques grâce au génie humain. Techno-optimiste béat, le cornucopien est plutôt conservateur politiquement. Pas question à ses yeux de toucher au mode de production ou aux standards de consommation du capitalisme opulent. Présent sur tous les continents, il pullule dans les milieux dirigeants de l’industrie. Sa dernière lubie: pomper le CO, excédentaire directement dans l’atmosphère. Certains responsables du dérèglement climatique, à l’instar de la major Occidental Petroleum, investissent ainsi désormais dans la capture et le stockage souterrain du carbone. L’entreprise pétrolière texane va inaugurer dès 2025 la plus grande usine de pompage carbone au monde, « StratoS ». Elle prétend y récupérer 500 000 tonnes de dioxyde de carbone par an, pour le compte de clients soucieux de leur réputation verte, tels Amazon ou Airbus… Problème (de taille): il faudrait une dizaine de milliers de sites de ce type rien que pour absorber les émissions annuelles des États-Unis.

Le techno-optimisme vire ainsi sous nos yeux au délire. Et le réalisme pourrait bien être en train de changer de camp, à la faveur de l’aggravation des crises écologiques. Longtemps taxée d’utopique, I’hypothèse décroissante fait en effet son chemin dans les milieux universitaires. Portée par une nouvelle génération de chercheurs, elle s’impose peu à peu comme une stratégie de bifurcation écologique qui mérite d’être explorée. Et les termes anglais « degrowth » et «post-growth » s’invitent jusque dans les débats des scientifiques du GIEC. Quelle que soit sa pertinence d’un point de vue écologique, la décroissance reste, aux yeux de la plupart de nos dirigeants, une impasse politique. Présupposant l’attachement irréductible des habitants des pays riches à la société de consommation, ils semblent ainsi partager la conviction que notre mode de vie «n’est pas négociable », comme l’avait exprimé sans ambages le président des Etats-Unis, Bush père en 1992. Mais nageons-nous vraiment dans l’abondance? Le techno-capitalisme du XXI siècle -violemment inégalitaire - est en réalité loin d’être un jardin d’Éden. Des soutes des porte-containers aux rayons désormais sans fin du shopping en ligne, les biens et les expériences consommables s’accumulent en effet jusqu’au vertige. Mais d’autres choses viennent désespérément à manquer. Les relations s’érodent dans de nombreux territoires où lieux de rencontre et services publics baissent le rideau. L’expérience simple de la nature, comme lieu d’un rapport à la beauté vivante, devient un luxe.

Le temps, enfin, se raréfie, pour les prolétaires aux horaires décalés comme pour lescadres en burn out, tandis que le capitalisme attentionnel dévore les heures de loisir. Manque de liens, de nature, de temps libre. Au yeux de la philosophe Kate Soper, penseuse de l’« hédonisme alternatif », il y a bien, au-delà des convictions éthiques, des raisons tout à fait égoïstes de se détourner de l’idéal consumériste. Réduction du temps de travail, convivialité, écosystèmes luxuriants. Les penseurs de la décroissance offrent aux désenchantés de la prospérité capitaliste l’horizon d’une autre abondance. Matériellement plus frugal, il renoue avec la perspective d’une société radicalement égalitaire, dont André Gorz proposait il y a cinquante ans déjà la maxime : « Seul est digne de toi ce qui est bon pour tous. Seul mérite d’être produit Ce qui ne privilégie ni n’abaisse personne. »

Sortir de l’impasse agro-industriel __ Hélène Tordjman

Pour qui sait voir, le système agro-industriel est à bout de souffle.

Pollutions multiples, disparition des paysans et désertification des campagnes, nourriture empoisonnée, sols appauvris, accaparement des terres et de l’eau… et tout cela pour produire environ un quart de la nourriture consommée dans le monde, avec l’essentiel des ressources. Au contraire, l’agriculture vivrière ou paysanne n’utilise environ qu’un quart des terres cultivées et 20% de l’eau agricole, et produit 70 % de la nourriture mondiale. Quant au financement de la recherche, l’essentiel va aux manipulations génétiques, à la chimie lourde, au big data et à l’intelligence artificielle, à la robotique et aux nano biotechnologies, dessinant ainsi l’agriculture de demain. Presque aucune ressource n’est consacrée aux « préparations naturelles peu préoccupantes » comme les purins d’ortie. de prêle ou de consoude. On en compte pourtant des centaines, qui pourraient avantageusement venir remplacer les pesticides, dont la consommation continue pourtant d’augmenter malgré toutes les alertes sanitaires et écologiques. À l’heure où des centaines de millions de personnes dans le monde ne mangent pas à leur faim, y compris dans les riches pays du Nord, il paraît indécent de par- ler de décroissance. Mais le problème n’est pas la quantité de nourriture produite dans le monde: il y en a assez pour tout le monde. Et d’ailleurs, un tiers de cette nourriture est perdue, gâchée, pour diverses raisons sur lesquelles il suffirait d’agir pour augmenter considérablement l’offre. Les problèmes sont multiples: insuffisance d’une demande solvable, comme diraient pudiquement les économistes, c’est-à-dire que les gens sont trop pauvres pour acheter à manger; mauvaise affectation des terres, de plus en plus dédiées à des productions indus- trielles et non à la nourriture; libre échange des produits agricoles qui mettent en concurrence des espaces fondamentalement différents, géographiquement et culturellement ; concentration des terres et dificultés d’accès au foncier pour les petits paysans; pouvoir de marché excessif de l’agro-industrie… Bref, c’est tout le systéme agro-alimentaire qu’il s’agit de repenser. Ce n’est certes pas une tâche facile, mais la bonne nouvelle est que, dans l’ensemble, on sait ce qu’il faudrait faire. Même les différents rapporteurs sur le droit à l’alimentation des Nations Unies sont globalement d’accord, et ce ne sont pas de dangereux révolutionnaires. J’esquisserai les grandes lignes des changements requis, à trois échelles différentes : celle de la ferme (micro), celle du territoire (méso) et celle des pays et groupes de pays (macro), en insistant plus particulièrement sur le niveau du territoire, là où des changements profonds sont assez facilement envisageables.

Généraliser l’agroécologie à la ferme

De nombreux agronomes et écologues prônent la a généralisation de l’agroécologie. Contrairement à une approche fondée sur le rendement par parcelle, l’agroécologie propose une vision holistique ou systémique de l’exploitation, qui tire parti des interactions naturelles à l’œuvre dans les écosystèmes plutôt que de les artificialiser et les standardiser. De multiples pratiques relevant de ce qu’on qualifie aujourd’hui d’agroécologie ont été inventés où il y a des centaines voir des milliers d’années par des générations de paysans dans le monde.

L’association d’une culture avec une légumineuse permet de fixer l’azote atmosphérique dans le sol et l’enrichit naturellement: les Indiens d’Amérique, au Nord comme au Sud, cultivaient ainsi « les trois sœurs », maïs, courges et haricots. La rotation des cultures permet de ne pas déséquilibrer les sols par une succession des mêmes cultures qui y puisent les mêmes nutriments saison après saison. La prohibition des produits chimiques préserve la vie organique des sols, qui fait leur fertilité. Il ne faut pas laisser les sols nus, pour profiter au maximum de la photosynthèse, éviter l’érosion et le ruissellement de l’eau. L’association avec les arbres, dont les racines vont profondément dans le sol, permet la remontée des oligo-éléments et des minéraux à la surface, si tant est qu’on laisse les feuilles qui y tombent s’y décomposer. L’association avec l’élevage fournit de la fumure. Cette énumération est loin d’être exhaustive, et les progrès de certaines disciplines comme la biologie des sols enrichissent encore la palette des pratiques vertueuses² (l’agroecologie peut nous sauver, Dufumier). De manière générale, tout ce qui favorise la diversité biologique, animale et végétale, est bon, et sécurise de plus l’approvisionnement alimentaire : si une culture produit peu une année, il est peu probable que toutes les autres fassent de même en même temps. Le contre-exemple historique le plus connu est celui de la grande famine irlandaise au milieu du XIX° siècle, qui a fait des centaines de milliers de morts et au moins autant d’émigrants. Non seulement l’alimentation était fondée essentiellement sur une seule espèce, la pomme de terre, mais de la même variété, peu résistante au mildiou. Quand celui-ci a frappé, toutes les récoltes ont été perdues…

Expérimenter à l’échelle des territoires

La notion même de territoire est difficile à définir précisément. Certains parlent de «biorégions », c’est-à-dire de lieux unis par des similitudes géographiques et culturelles. Le géographe et philosophe Augustin Berque étudie quant à lui les milieux de vie: le milieu est le « domaine sur lequel nous agissons (…), mais il est aussi le domaine qui nous affecte, et augquel nous appartenons de quelque manière». De manière plus empirique, on peut penser a l’ancien terme de pays, comme le Pays basque ou le Pays bigouden, lieux marqués par une certaine homogénéité géographique et culturelle. C’est sans doute à ce niveau-là que l’on peut d’ores et déjà expérimenter de nouvelles organisations, fondées sur l’autogestion et la démocratie directe (comme cela est fait depuis des années au Rojava et au Chiapas. ou encore dans les « villes en transition »).

Prenons deux exemples. Le premier est celui des monnaies locales complémentaires (elles n’ont pas vocation à se substituer aux monnaies nationales ou régionales comme l’euro). L’expérience qui a le plus de succès en Europe est celle de l’eusko, au Pays basque, mais il en existe des centaines, à la circulation plus ou moins étendue. Lancé en 2013 par l’association Euskal Moneta. qui en définit les règles de fonc- CIonnement, l’eusko est la défnition mềme du commun au sens d’Elinor Ostrom. Tous les particuliers qui. le souhaitent peuvent y adhérer. En revanche, les pro- fessionnels - commerçants, paysans ou artisans- doivent satisfaire à un certain nombre de conditions. Ils doivent avoir leur siège social au Pays basque et utiliser au moins trois produits locaux dans leur activité, ou employer au moins trois usa- gers de l’eusko. Les agriculteurs acceptés dans l’association font exclusivement de l’agriculture paysanne : produits sains et de qualité, petites exploitations, attention à la préservation des ressources naturelles… Les adhérents (environ 4000 particuliers) changent des euros en euskos (1 eusko =1 euro) pour faire leur courses, développant ainsi les circuits courts. Les professionnels, qui sont 1500 à ce jour, peuvent eux échanger les euskos gagnés contre des euros, avec cependant une décote de 5%. les incitant à rester dans le circuit de la monnaie locale. Ces 5% abondent un fonds qui finance des associations locales. En 2021, 4 mil- lions d’euskos au total étaient ainsi en circulation d’après Euskal Moneta, liant environ 5 000 acteurs entre eux et dynamisant, selon l’association, les échanges locaux. Parmi les professionnels, 56% des adhérents de l’eusko ont ainsi choisi au moins un nouveau fournisseur local, et 84% n’ont pas demandé à reconvertir leurs euskos en euros. Les 38 communes participantes acceptent les paiements en euskos pour les cantines, les activités sportives et culturelles, et favorisent les prestataires locaux. Ce type d’expérimentation sociale paraît une piste sérieuse pour aider à la relocalisation des activités économiques, en retissant des liens à l’échelle du territoire. Autre piste, le projet d’une Sécurité sociale de l’alimentation, porté par des ingénieurs agronomes, des paysans, des citoyens et des chercheurs. Partant du constat que les politiques uniquement axées sur l’offre (par exemple des subven- tions aux Droducteurs bio) sont insuffisantes pour changer les systèmes alimentaires, ses défenseurs se concentrent sur le soutien à la demande de produits de qualité. S’inspirant du modèle initial de la Sécurité sociale, mis en place en 1947-1948 dans la foulée du Conseil national de la Résistance, il propose d’allouer à chacun une somme mensuelle forfaitaire pour des dépenses alimentaires auprès de producteurs, d’épiceries, de restaurants conventionnés. Ce système serait financé par des cotisations proportionnelles aux revenus, elles-mêmes gérées par des caisses locales de travailleurs, de coopératives et de syndicats. Il permettrait de progressivement déconventionner la nourriture industrielle pour privilégier des produits sains en circuits courts. Les grands principes du conventionnement seraient décidés au niveau national, mais des déclinaisons pourraient être faites localement, selon les conditions set les besoins locaux. Dans un premier temps, la somme creditée sur une sorte de «carte Vitale» alimentaire serait de 150 €. Loin de couvrir l’ensemble des besoins alimentaires, Ce montant permettrait à toutes et tous d’accéder à des produits bio et de terroir, tout en assurant une demande suffisante aux producteurs pour vivre décemmnent de leur travail.

À l’échelle macro: planification ou autogestion?

Quant aux changements macroéconomiques nécessaires à une telle transition agroècologique, ils sont nombreux et énormes, et nous n’avons pas la place de les développer ici. Citons cependant pêle-mêle et de façon non exhaustive une réforme agraire redistribuant la terre en petites et moyennes parcelles; l’arrêt du libre-échange de produits agricoles et alimentaires ; la fin du droit de la propriété intellectuelle sur le vivant ; le démantèlement d’une sphère financière prédatrice; ainsi que celui des grandes entreprises et coopératives qui dictent leur loi dans un rapport de force complètement déséquilibré entre capital et travail ; une nationa- lisation au moins partielle du secteur bancaire et sa déconcentration, qui aurait pour objectif l’accès au foncier des paysans et non celui de leur endettement… Évidemment, c’est un vaste programme, et il est bien difficile d’imaginer un quelconque pouvoir politique ayant le courage ne serait-ce que d’oser mentionner de telles mesures. Cela permet néanmoins de dessiner le changement de cap dont nous avons urgemment besoin. Pour finir sur une des plus grosses difficultés, à la fois théorique et empirique : celle de l’articulation de ces différentes échelles de l’action, micro, méso, macro Beaucoup de débats existent sur ce point, en particulier entre les tenants d’un État fort qui dirigerait d’en haut la planification écologique (et dont certains ne peuvent se départir de quelques vieux réflexes productivistes), et les promoteurs d’une vision autogestionnaire dans la lignée d’un Castoriadis, fondée sur des conseils locaux et une démocratie participative. Si l’on ne veut pas tomber dans la caricature, et vu la complexité de la tâche qui nous attend, il faudra articuler ces différentes échelles de l’action humaine, sans doute différemment selon les enjeux et les territoires. Un peu de planification sera indispensable ne serait-ce que pour parvenir à déspécialiser intelligemment nos économies et nos sociétés, où la division du travail a pris des proportions inquiétantes, voire quelques fois inhumaines. Je fais cependant partie de celles et ceux qui espèrent une relocalisation des décisions économiques et politiques, donc une reprise en main de nos destinées autant qu’il est possible de le faire.

Jeanne Guien

Dans l’arsenal capitaliste, le consumérisme est une arme lourde et de haute précision. Au coeur de ce modèle, l’achat se pose en condition de la vie en société et fait de chaque citoyen un segment de marché. En décortiquant I’histoire d’objets du quotidien, du gobelet jetable au smartphone, la chercheuse Jeanne Guien révèle ce qui les a propulsés du rang d’inventions à celui d’indispensables. En chemin, elle met à nu les stratégies du consumérisme et dessine des alternatives économiques, émancipatrices et décroissantes.

ß Comment est né le consumérisme?

L’idée d’inciter à la consommation pour faire prospérer l’économie apparaît dans les discours d’économistes dès le XIX° siècle, mais c’est au siècle suivant que le terme est défini. Alors que le productivisme a permis de développer des usines très performantes pour pro- duire énormément d’objets, il est deve- nu nécessaire au début du XX° siècle de renouveler les marchés. Des métiers, des sciences, des disciplines ont alors émer- gé pour inciter à consommer davantage. C’est à cette époque que sont nées des industries extrêmement puissantes, comme celle de la publicité, du design industriel et du marketing. Ces métiers encouragent la consommation comme un moyen de relancer l’économie face à des situations de surproduction et de saturation des marchés. Au lieu de se dire qu’il faut moins produire, les partisans du consumérisme mettent en place des stratégies d’obsolescence

  • celles que j’ai le plus étudiées. Mais la relance de la consommation peut aussi se faire en diversifiant des gammes, en proposant des modes, en mettant de nouveaux produits sur les marchés. Le consumérisme, comme ensemble d’in- dustries consacrées au renouvellement de la demande, a utilisé, instrumentali- sé, soudoyé toutes les formes artistiques, culturelles et médiatiques, des jeux télévisés aux réseaux sociaux,en passant par des opéras, des tableaux et des romans de Balzac. Le plus terrible,c’est que cela ne vaut pas seulement pour la forme, mais aussi pour le fond. Les discours consu- méristes s’approprient n’importe quel argumentaire. Par exemple, l’écologie ou le féminisme sont instrumentalisés pour créer de nouveaux marchés.

Pouvez-vous revenir sur la

différence entre une société consumériste et une société marchande ?

Une société marchande se distingue d’une société dans laquelle les échanges économiques ont lieu hors des méca- nismes de marché, via le don contre don, la réciprocité ou le troc - qui peut cela dit être parfois considéré comme marchand. Mais beaucoup de sociétés ont des marchés sans être des sociétés consuméristes. Dans une société consumériste, on considère qu’il faut encourager à tout prix la consomma- tion pour que l’économie prospère, et la dépendance à l’égard du marché est la règle pour tous les domaines de l’existence. Comme l’écrit André Gorz dans Ecologica (Galilée, 2008), c’est une société dans laquelle «nous ne consommons rien de ce que nous produisons, et nous ne produisons rien de ce que nous consommons. Dans cette société, l’argent est fondamental : l’individu travaille pour un salaire et achète au moyen de ce salaire. J’ajoute que dans les sociétés consuméristes il y a une valeur sociale accordée au fait de travailler et d’acheter, de dépendre du marché.


Le gobelet permet de montrer l’utilisation de l’hygiénisme par le marketing, et la transformation et l’élargissement permanents du marché. L’histoire du gobelet jetable part de la difficulté de boire dans l’espace public pour arri- ver à un usage quotidien dans l’espace privé. C’est aussi le cas des serviettes hygiéniques, que j’ai également étu- diées’. Un produit d’usage exception- nel devient un produit d’usage régulier et finalement, d’usage quotidien. Les vitrines matérialisent l’importance du consumérisme dans l’espace public, elles nous entourent et deviennent le paysage même. Le mouchoir est un objet très ancien, né hors d’un contexte marchand, mais il est devenu une mar- chandise à partir d’un opportunisme absolu : la récupération d’invendus de guerre convertis en un produit civil, d’abord vendu sans succès aux femmes puis à toute la famille. Là encore, le marketing ne cesse de repositionner le produit en fonction de ce qui fonctionne ou non, pas en fonction de la valeur d’usage du produit. Le smartphone illustre les questions d’obsolescence program- mée, mais il est aussi un exemple type de la contrainte à l’usage. Enfin, pour les déodorants, revient le thème récurrent du positionnement, mais avec un angle spécifique sur le genre. c’est un produit qui a été commercialisé en s’adressant spécifiquement aux femmes, de manière violente, avant de s’adresser également aux hommes. l’histoire du consumérisme est aussi une histoire du genre point les femmes ont été spécifiquement ciblées, car présenter comme des êtres susceptibles de gaspiller, d’aimer la nouveauté, les gadgets et le shopping, et elles sont de toute façon supposées se charger des achats pour toute la famille. ces objets ont un point commun : la manière dont le marketing saisit toutes les opportunités pour créer des marchés. ce mouvement entraîne, ce que j’appelle avec les sociologues autour de Michel Callon, une histoire de qualification. les produits sont sans cesse requalifiés comme étant propres, écologiques, féministe , rapides, pratiques… plutôt que de parler de “création des besoins” je préfère le terme “création de marchés” car il n’est pas forcément vrai que c’est marché correspondent à des besoins.

c’est marcher ne donne-t-il pourtant pas l’illusion l’impression de répondre à un besoin ?

la communication marketing et fondée sur la négation de sa propre contingence point alors que les vendeurs n’arrêtent pas de changer de positionnement, il présentent toujours l’objet comme absolument nécessaire, voire naturel point dans un vocabulaire hygiéniste un produit va par exemple être présenté comme une nécessité médicale : « il ne faut surtout pas utiliser de mouchoirs réutilisable.» c’est positionnement sont à la fois très changeant, et en même temps toujours présenté comme naturel, nécessaire et de vente durée toujours.

pourquoi la liberté de choix de consommation dans notre société est-elle selon vous un mythe ?

c’est une idéologie développée par des économistes selon lesquels l’individu a d’autant plus de liberté qu’il a de choix dans la consommation. on fait des glissements autour du terme de choix, qui est un concept philosophiquement associé à la liberté, sans jamais remonter assez loin dans cette vision du choix. avoir le choix entre un produit a et un produit b, ce n’est pas la même chose qu’avoir le choix entre acheter un produit et ne pas l’acheter. l’achat contraint est lié au fait d’être entièrement dépendant du marché. C’est aussi un problème politique. prenons l’exemple des applications téléphoniques : les services publics développent aujourd’hui toute une infrastructure d’applications qui ont pour effet que beaucoup de gens dépendent de leur téléphone pour accéder à leurs droits.

de quelle manière l’état participe-t-il à orienter les individus dans leurs choix de consommation ?

l’État a toujours soutenu le capitalisme, et donc le consumérisme, de nombreuses manières. J’évoque plusieurs exemples dans mon livre, comme cette campagne publicitaire étatique menée main dans la main avec une campagne publicitaire privée pour les gobelets jetables. concernant la régulation des produits, la plupart des lois votées en France ces dernières années contraignent sur tous les entreprises à plus de transparence et de communication, avec des indices de durabilité, un nutriscore, davantage d’affichage et de mentions légales. les produits problématiques et leur publicité ne sont pas interdits, les produits et manières de produire plus vertueux ne sont pas subventionnés. l’État se contente de mettre davantage d’informations sur le marché, dans l’idée que les consommateurs ont tous les moyens, l’envie et les capacités de payer des produits plus vertueux point c’est une vision libérale qui suppose que tout le monde doit faire le meilleur choix possible en fonction des informations disponibles point cette idéologie du choix et de la liberté des consommateurs se heurte au mur des inégalités.

Face à ces inégalités, comment

faire pour emmnener le plus grand nombre d’individus vers une consommation plus vertueuse, voire une non-consommation?

Pour se déprendre du consumérisme, il faut chercher des alternatives éco- nomiques. A la campagne, il est plus facile de se livrer à l’autoproduction et à l’entraide. C’est dans le monde agricole et paysan que l’autosuffisance a été la plus dure à supprimer. S’affranchir du consumérisme dans un milieu urbain est plus difficile. De façon plus générale, il y a à mon sens deux voies de combat:la voie socialiste, c’est-à-dire la lutte pour plus de services publics car ces derniers sont censés échapper au marché; et la voie anarchiste, qui consiste à créer de manière autogérée des espaces et des formes d’activités économiques alter- natives. Je pense qu’il est possible de faire les deux: faire du plaidoyer politique pour avoir un meilleur service public et étendre son emprise, et, en parallèle, construire et défendre des espaces d’autoproduction. ressources abandonnées, trouvées sous forme de déchets ou partagées, données, empruntées. Ces pratiques ont justement été théorisées comme le « boycott ultime ». Cela permet de ne pas seulement boycotter un marché en consommant autre chose, mais de boycotter le phénomène du marché en général, de ne plus être dans des relations marchandes au profit de relations de réciprocité, qui sont les formes les plus communes et les plus anciennes d’économie.

Comment organiser une

résistance collective au consumérisme dans un système capitaliste?

L’individu doit socialiser sa démarche. Si l’on prend l’exemple des pratiques de récupération, cela peut se faire seul, mais pour diversifier son régime, cela implique souvent d’avoir une commu- nauté qui aide à ramasser, collecter, trier et échanger. Le squat, le stop, la récupération ou les marchés gratuits sont des pratiques qu’on appelle freegan aujourd’hui. Elles consistent à se pas- ser du marché en se réappropriant des ressources abandonnées, trouvées sous forme de déchets ou partagées, données, empruntées. c’est pratique quand justement été théorisé comme le boycott ultime. cela permet de ne pas seulement boycotter un marché en consommant autre chose mais de boycotter le phénomène du marché en général, de ne plus être dans des relations marchandes au profit de relation de réciprocité, qui sont les formes les plus communes et les plus anciennes d’économie

Le boycott se pratique

aujourd’hui par rapport à des pays (comme lsraël) ou des situations (comme l’esclavage des Ouighours), mais peut-il exister plus largement, en réaction à la surconsommation, en faveur de l’environnement?

On peut I’imaginer, mais pour qu’il y ait un boycott du marché, il faut qu’y ait des espaces économiques alternatifs, un accès à d’autres modes de satisfaction des besoins. Or nous ne sommes pas tous égaux devant le boycott non plus. Pour boycotter les supermarchés, il faut avoir accès à de la nourriture autrement. C’est possible en possédant de la terre ou en pratiquant la récupération alimentaire, en espace rural ou urbain, mais c’est impossible tout seul. Plus les individus auront une communauté par laquelle ils pourront accéder à des ressources, plus ils seront capables de boycotter le marché.

Le boycott est souvent un

« buycott », et reste ainsi dans une démarche consumériste. Ce mode d’achat éclairé ne transforme-t-il pas une démarche militante en nouveau dispositif marchand ?

Le «buycott », c’est-à-dire ne pas acheter tel produit au profit d’un autre, du point de vue d’un marketeur, ce n’est jamais qu’un repositionnement. On continue a évoluer dans la sphère marchande. Si les consommateurs cessent d’acheter du Nutella au profit de la Nocciolata. le Nutella sera proposé sans huile de palme, ou vegan (Ferrero a précisément lancé en septembre une version végétale du Nutella, sans lait… mais toujours avec huile de palme, ndlr). Il y a des professionnels dont l’activité consiste à observer les comportements des consommateurs pour s’y adapter. Pour que le boycott soit global, il faut qu’il y ait des espaces alternatifs économiques.

Une société de

déconsommation ou anticonsumériste est-elle possible ?

C’est le consumérisme qui est une ano- malie historique récente. Des Etats et des sociétés non consuméristes ont toujours existé, sans être forcément des modèles enviables : il y a énormé- ment de manières pour l’État d’organiser l’économie d’un pays, parmi lesquelles I’impôt, l’esclavage, la corvée. C’est pourquoi la décroissance tourne autour d’une question : comment arri- ver à un modėle économique non capitaliste, non consumėriste, par des voies démocratiques ? Peut-on organiser un système de répartition égalitaire des ressources ? En théorie, l’État est normalement un appareil de redistribution des ressources, il en a les moyens et l’organisation. Malheureusement, nous n’y sommes pas. Les luttes contre le consumérisme et la décroissance sont donc intimement liées. Le parti pris des théories consuméristes est qu’il faut continuer à faire croître le marché, même lors d’une crise de surproduction. Jamais on ne se demande pourquoi il y a autant de surplus, d’in- vendus, les raisons qui nous poussent à produire tant de choses dont on n’a pas besoin. Si au contraire, on décide d’imposer des quotas à la production et à l’importation, de limiter la taille des surfaces devente, d’interdire les stratégies d’obsolescence, alors on entrera dans une logique décroissante et anticonsumériste;les deux vont ensemble.

Des mesures de transition pour sortir du capitalisme

Une garantie de l’emploi utile

Depuis des décennies, le discours capitaliste joue la carte du chantage à l’emploi pour ralentir les efforts de transition. Impossible de produire moins car cela viendrait générer du chômage. Cette inquiétude disparaitrait avec la mise en place d’une garantie locale de l’emploi, comme celle actuellement expérimentée dans les 75 territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD). Chaque territoire se verrait doté d’une coopérative d’emploi, qui viendrait identifier les besoins de la communauté et recenser les compétences des personnes privées d’emploi avec l’objectif de créer des activités utiles porteuses d’emplois décents. Le capitalisme et son «marché » du travail hiérarchisent les activítés en fonc- tion de leur retour sur investissement, laissant de côté une diversité de métiers essentiels pour le bien-être et le vivre-ensemble. Démarchandiser le travail”, c’est laisser une société décider de manière autonome de comment utiliser son temps et faire naître une nouvelle culture du post-travail. Cela commence par une large réduction du temps alloué à l’emploi salarié. Le temps libéré pourrait ainsi être réparti entre des loisirs, eux aussi démarchandisés grâce aux associations et aux coopératives, et les nombreuses tâches nécessaires à la reproduction sociale : organisation politique, éducation, aide et soin, etc.

Des mécanismes de rationnement convivial

Le capitalisme alloue les ressources naturelles par les prix. C’est un mécanisme qui non seulement ne limite pas l’usage des ressources, mais tend à rendre leur distribution inégalitaire. On ne pourra pas faire décroître une économie équita- blement sans des protocoles de partage plus justes et démocratiques. Le politologue Paul Ariès parle de la « gratuité de l’usage et [du renchérissement du mésusage” ». Il s’agit de faciliter l’accès à l’eau pour boire, se laver, cuisiner et autres usages indispensables, et limiter les activités moins essentielles comme le remplissage de piscines, le lavage de voitures et l’arrosage de gazon. C’est déjà le cas dans plusieurs villes, dont Dunkerque depuis 2012:la grille tarifaire de l’eau est divisée en trois tranches selon les volumes de consommation. On pourrait appliguer le même système aux vols en avion avec ľ’introduction d’un «freguent flyer levy» («numéro de grand voyageur »), une taxe progressive sur les billets en fonction de la quantité de déplacements. Limites à la lucrativité, autogestion de ľ’investissement, pouvoir de vivre, garantie de l’emploi, rationnement convivial.. Visant à remplacer l’économie des profits par une économie des besoins, l’économie sociale et solidaire porte en elle les graines d’une économie post-capitaliste et post-croissance. Fortes d’une longue expérience, les initiatives de l’ESS sont aujourd’hui notre meilleur laboratoire pour inventer l’économie du futur. Il va maintenant falloir la muscler afin qu’elle puisse pleinement jouer son rôle d’alternative.

Propositions pour éroder le capitalisme

Décroître, d’accord, mais comment ? Dans une revue systématique de la littérature, un groupe de chercheurs a identifié les dix leviers d’action les plus fréquemment cités comme instruments de décroissance, On y retrouve le revenu de base, la réduction du temps de travail, la garantie de l’emploi, le plafonnement des revenus, les quotas d’extraction de ressources naturelles, les coopératives, les forums délibératifs (conventions citoyennes, etc.), les communs ou les écovillages. L’économie sociale et solidaire n’a pas réponse à tout, mais force est de constater qu’elle est pionnière dans beaucoup de ces domaines. Et si notre meilleure stra- tégie de décroissance consistait à d’abord faire des initiatives de l’ESS la norme ?

l’État pourrait encourager la transformation des entreprises en coopérative à travers des incitations fiscales et des fonds de conversion et y prendre des parts de capital pour inventer une nouvelle forme d’action publique coopérative


Ma critique : l’auteur dit que pour pouvoir prospérer sans croissance, il faut pouvoir planifier la production donc rompre avec la course au profit.

Je ne pense pas que planifier la production soit une bonne idée mais plutôt d’utiliser un système économique qui limite les productions néfastes et favorise les productions qui favorisent la prospérité du peuple et cela peut-être fait dans le système monétaire lui-même avec quelques mesures fiscales en plus

En plus dans tout ce planification il y a la question de qui doit planifier ? Si c’est le peuple alors il doit être capable de faire la différence entre l’essentiel et le superflu ce qui n’est pas gagné étant donné les incitations passées à consommer et à favoriser l’individualisme notamment dans les publicités les médias et toute la culture

Imagine un modèle plutôt ou le secret d’entreprise n’existe pas ou toutes les entreprises doivent mettre leur brevet en open source et au final toute la société est actionnaire de chacune des entreprises dans le sens où chaque citoyen aurait des ressources financières équivalentes à tout autre citoyen. Dans ce cas a fini les inégalités de richesse et tout le monde devient investisseur de son argent Cela me fait un modèle actuel où les investisseurs sont en fait des individus qui possèdent de grandes richesses (milliardaires)

Kohei Saito

La voie des communs : ni tout transformer en marchandise (néolibéralisme) ni tout nationaliser (socialisme) mais gérer collectivement les communs, par toute la collectivité.

Son modèle, c’est le changement par des coopératives (communisme local)


Moi je préférerais une gestion locale et autonome des communs avec des échanges marchands justes et équilibrés avec les groupes extérieurs (en utilisant le SEL fondant ?) Mais comment gérer l’appropriation violente et armée des ressources par un petit groupe militaire? Réponse simple : Il suffit de les inviter à table et de changer leur culture Réponse longue : nous ne savons pas gérer la violence car nous avons trop peur. Il faut travailler sur la peur. Si nous pouvions mourir pour nos idéaux cette violence n’aurait pas lieu. Parfois la seule façon de défaire la violence est de la tordre par la force, mais y penser revient à la manifester. Pourquoi s’en faire donc ? Si la situation se présente tu peux tout donner et partir. Ou bien tout détruire et te battre.

Les arguments anti-décroissance ne vont jamais bien loin

exercice: prenez une sélection de tribunes qui critiquent la décroissance et enlevez les dates. Je vous parie que vous n’arriverez pas à différencier les anciennes des nouvelles. Ces attaques sont extrêmement pauvres: courtes et répétitives, non chiffrées et sans références scientifiques, avec des titres tapageurs du genre « La décroissance est un mythe », « La décroissance, ennemie des pauvres », ou « Environnement: quand la décroissance pollue ». Il existe pourtant aujourdhui plus d’un millier d’études académiques sur le sujet. Saviez-vous que la France utilisait actuellement 179 % de son budget écologique’? Saviez-vous qu’atteindre une qualité de vie décente pour 8,5 milliards d’êtres humains ne nécessiterait que 30% de notre usage actuel d’énergie et de matériaux?? Saviez-Vous que la pub en France faisait augmenter la consommation de 5,3% et le temps de travail de 6,6%? La science avance mais les détracteurs ne la lisent pas. Quelques chroniqueurs fatigués continuent aveuglément d’affirmer que la décroissance est inutile car la croissance serait en train de se « verdir » (une hypothèse fausse le démontre une abondante littérature

Mot-portail : un projet de société alternatif

Dernier élément : I’utopie de la post-croissance. On trouve dans le corpus décroissant de nombreux récits d’un futur désirable plus égalitaire où toutes les entreprises seraient à but non lucratif, locales et low-tech. Un monde plus lent avec une démocratie plus participative où les gens travailleraient moins, une économie du partage et du soin aux écosystèmes luxuriants. Parler de post-croissance permet de s’extirper de la domination d’un présent perpétuel, cette écrasante fin de l’histoire qui fait qu’il est plus facile aujourd’hui d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Pour capturer cette utopie en une phrase, on pourrait la décrire comme une écornomie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance. Cette vision a beaucoup en commun avec l’écosocialisme, le convivialisme, le buen vivir, le post-développement, le participalisme, ou l’économie sociale et solidaire. Ces concepts sont tous des brèches dans le même mur du « There is no alternative ».

En vrac

La perspective de la subsistance consiste à décoloniser les trois colonies du capital : la nature, les femmes et le Sud ” __ Veronika Bennholdt

Idée : vous aspirez à une profonde réorganisation du travail (domestique, productif et nourricier) qui privilégie la subsistance à la marchandisation et l’entraide à la subordination.

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Étude carbone 4: “l’impact probable des changements de comportement individuel pourrait stagner autour de 5 à 10% de la baisse de l’empreinte carbone, guère plus”

C’est pourquoi il faut mettre fin à l’individualisme

Affirmer que le changement procède de l’addition des comportements individuels, aussi vertueux soient-ils, ou même qu’il commence par soi, c’est rester prisonnier des cadres conceptuels individualiste du monde de la croissance.

Pour vivre le partage il faut quitter la perspective centrée sur soi

“Trouver seul le sens de sa vie est une chimère, le sens de la vie est éminemment politique” socialter décroissants