Le désir, une philosophie

Livre de Frédéric Lenoir sur la Philosophie du Désir

Highlights

5 - Consumérisme et manipulation du désir

Rêvé par les uns, dépassé par les autres, c’est le standard de l’american way of life qui s’impose depuis des décennies en Occident et qui est en train de gagner le monde entier. Le consommateur moderne est extrêmement conformiste : il cherche à adopter le mode de vie qu’on lui propose avec les signes de reconnaissance sociale qui l’accompagnent. Son esprit critique est très faible, ses désirs sont mimétiques et se muent en envies : celles suggérées par la société et le matraquage publicitaire et bien souvent aussi médiatique (combien de fois les médias nous vantent les progrès technologiques et les avantages des nouveaux produits ?).

5 - Consumérisme et manipulation du désir

Le marketing crée de nouveaux désirs et nous fait apparaître comme indispensables des objets dont l’humanité a très bien pu se passer pendant des millénaires.

5 - Consumérisme et manipulation du désir

La rareté est l’une des clés essentielles pour rendre un produit désirable : c’est le secret du succès de l’industrie du luxe.

5 - Consumérisme et manipulation du désir

la publicité a joué un peu moins ouvertement sur le registre de la comparaison sociale (à force d’être utilisée, la technique s’érode) et davantage sur la thématique, très en vogue, de l’authenticité et de l’accomplissement de soi. Rien de mieux pour rendre un produit désirable que d’affirmer qu’il nous permet d’être pleinement nous-mêmes, ou qu’il correspond parfaitement à ce que nous sommes.

5 - Consumérisme et manipulation du désir

Discours absurde, puisqu’il s’adresse à des millions, voire à ces centaines de millions d’individus, qui sont tous différents

5 - Consumérisme et manipulation du désir

On vend donc à des individus de la personnalisation, alors qu’il n’y a rien de plus impersonnel que le produit standardisé et marqueté d’une grande marque vendue dans le monde entier 

5 - Consumérisme et manipulation du désir

le consommateur doit se persuader que sa décision d’achat est personnelle, qu’il achète un produit adapté à ce qu’il est, qui correspond à son désir le plus intime. Cela n’est rendu possible que par le mécanisme, déjà évoqué, du désir mimétique. C’est parce que je vois une personne (le plus souvent une star) à laquelle je m’identifie vanter les qualités de ce produit en affirmant qu’elle est ainsi pleinement elle-même, que je vais croire qu’il en sera de même pour moi.

5 - Consumérisme et manipulation du désir

Conformisme, imitation, perte d’esprit critique, appauvrissement du désir : la société de consommation produit une dépersonnalisation croissante qui a de quoi inquiéter. Elle tente évidemment de la masquer par un discours trompeur sur la liberté de choix et l’accomplissement de soi, mais elle réduit en fait les individus à l’état de consommateurs abrutis, esclaves des impulsions de leur cerveau primaire et de leurs envies mimétiques. L’idéologie néolibérale, qui porte le système consumériste, nous promet la liberté et le bonheur, alors que ce système est source de servilité et de frustration. Nous sommes dressés, soumis, manipulés dans nos désirs… et perpétuellement insatisfaits.

5 - Consumérisme et manipulation du désir

Pour en sortir, il s’agit de quitter les impératifs catégoriques de nos sociétés, qui associent le bonheur à la réussite sociale et à la seule jouissance des biens matériels

5 - Consumérisme et manipulation du désir

il convient de renforcer notre discernement et notre esprit critique ; et surtout d’apprendre à nous reconnecter à nos désirs profonds, réellement personnels, et à l’élan vital qui les porte.

4 - L’envie

Thomas d’Aquin écrit dans sa Somme théologique : « L’envie consiste à s’attrister du bien du prochain comme s’il diminuait le nôtre et qu’il nous fît du mal4. » Cette idée est reprise par le philosophe anglais David Hume quelques siècles plus tard : nous jugeons de notre bonheur ou de notre malheur en comparaison avec celui que nous observons chez autrui. Ainsi, le spectacle du malheur d’autrui nous donne une idée plus vive de notre bonheur, et inversement celui du bonheur d’autrui de notre malheur. L’envie est ainsi « éveillée par la joie actuelle d’autrui, laquelle, par comparaison, diminue notre idée de notre joie propre5 ». Il en découle du ressentiment ou de la haine, qui nous incitent à souhaiter le malheur d’autrui.

4 - L’envie

ce ne sont pas tant les biens d’autrui que nous envions, que le bonheur de ceux qui les possèdent par un effet de comparaison. Aristote oppose ainsi l’envie à la pitié : cette dernière est une peine ressentie à l’égard du malheur d’autrui, tandis que l’envie est une « peine troublante » face au bonheur d’autrui. Il prend soin aussi de distinguer l’envie de l’indignation – peine ressentie devant le bonheur ou la réussite de quelqu’un ne le méritant pas – ou de l’émulation, qui nous incite à obtenir des biens que possède autrui et que nous souhaitons aussi obtenir : « L’émulation est une passion honnête et de gens honnêtes et l’envie est une passion vile de gens vils ; car l’un se met, par émulation, en état d’obtenir ces biens, l’autre, par envie, empêche son prochain de les avoir2. » Le philosophe souligne encore que nous envions uniquement

4 - L’envie

la réussite ou le bonheur d’autrui me rend malheureux, alors que je ne souhaite pas nécessairement posséder ce qu’il possède

3 - Le désir mimétique

Proust montre aussi, à travers l’évocation de ses propres souvenirs, que les désirs de l’enfant sont essentiellement mimétiques. Le petit Marcel désirait ce que des adultes qu’il admirait désiraient.

2 - Un cerveau nommé désir

ce désir insatiable est autant source de satisfaction que de frustration. Satisfaction de manger non seulement à sa faim, mais avec appétit ; satisfaction d’avoir une vie sexuelle épanouissante ; satisfaction de progresser dans son statut social ; satisfaction d’avoir accès facilement à un maximum d’informations et à de nombreuses distractions

2 - Un cerveau nommé désir

Comment s’en plaindre quand on sait que nos ancêtres devaient fournir infiniment plus d’efforts que nous pour se procurer ces mêmes satisfactions et qu’elles demeuraient très précaires ?

2 - Un cerveau nommé désir

Grâce à son cortex, l’être humain a su se procurer de manière plus facile et durable ce que son striatum le pousse à désirer. Le revers de la médaille, c’est que nous découvrons que cette abondance et cette facilité ne nous rendent pas forcément heureux, car notre cerveau primaire nous incite à désirer sans cesse autre chose et que le système économique et la publicité ne font que renforcer cette frustration afin de nous pousser à consommer toujours davantage.

2 - Un cerveau nommé désir

plus un avantage est éloigné dans le temps, moins il a de valeur pour notre cerveau. Autrement dit, nous préférerons presque toujours un plaisir/bénéfice immédiat à un plaisir/bénéfice ultérieur, même beaucoup plus important. C’est le psychologue américain Walter Mischel qui, le premier, a observé ce fait

2 - Un cerveau nommé désir

D’une certaine manière, c’est aussi ce que nous faisons presque tous face à la crise écologique : nous avons un mal fou à bouleverser le confort de nos modes de vie actuels au profit des générations futures. La hausse immédiate de leur pouvoir d’achat préoccupe davantage les humains que la hausse des températures qui peuvent rendre à moyen terme la vie humaine sur terre impossible

2 - Un cerveau nommé désir

Dans un monde hostile ou de rareté, il est toujours avantageux de se saisir sans attendre de la nourriture qui se présente ou de l’opportunité sexuelle, ou encore d’exercer sa domination. Ce n’est que lorsque nous vivons dans un environnement plus favorable que nous pouvons, grâce à la réflexion de notre cortex, repousser des occasions de satisfaire nos renforceurs primaires en vue d’une plus grande satisfaction ultérieure ou d’un bénéfice plus durable. Car pour ce faire, il faut avoir confiance en l’avenir, ce qui implique une certaine stabilité et prévisibilité, ou bien une foi profonde en la vie.

2 - Un cerveau nommé désir

la psychologie sociale ont également pu démontrer que notre satisfaction est d’autant plus grande que nous nous élevons au-dessus des autres. La compétition et la domination sont inscrites au cœur de nos gènes afin de nous permettre d’obtenir davantage de nourriture, de partenaires sexuels, de biens matériels et de reconnaissance sociale. Autrement dit, nous ne cessons de nous comparer aux autres.

2 - Un cerveau nommé désir

De nombreuses études ont montré que ce n’est pas tant le salaire absolu qui compte, que le salaire relatif : nous sommes surtout satisfaits lorsque nous gagnons plus que les autres4. Cela avait déjà été observé chez les rats et chez les singes, qui reçoivent davantage de dopamine dans leur striatum lorsqu’ils obtiennent plus de nourriture que les autres, même si la quantité est moins abondante que ce qu’ils reçoivent d’habitude

2 - Un cerveau nommé désir

nous avons mis la puissance de notre cortex au service de ces motivations primaires insatiables : l’intelligence humaine s’est déployée au fil des millénaires pour nous apporter toujours davantage de plaisir à travers l’alimentation, le sexe, le prestige social et l’information-distraction et cela en déployant toujours moins d’effort

2 - Un cerveau nommé désir

L’alliance contemporaine de la technologie et du libéralisme économique (fruits de notre cortex) permet au plus grand nombre d’entre nous de répondre aux incitations de la partie la plus primaire de notre cerveau.

2 - Un cerveau nommé désir

le striatum n’a pas de limites : il nous pousse à rechercher toujours plus de plaisir à travers les renforceurs primaires. Il ne dit jamais : stop ! « Notre cerveau est configuré pour en demander toujours plus, même quand ses besoins sont satisfaits2 », écrit Sébastien Bohler. Les expériences scientifiques ont en effet montré que le système de récompense favorise l’apprentissage et le perfectionnement et que notre cerveau nous apporte du plaisir parce que nous obtenons plus que la fois précédente. Le striatum nous pousse ainsi, de manière compulsive, à désirer toujours plus

2 - Un cerveau nommé désir

nous ne parvenons à stimuler nos circuits du plaisir qu’en augmentant les doses3. »

2 - Un cerveau nommé désir

Chaque fois que notre quête de nourriture, de sexe, de pouvoir ou d’information est couronnée de succès, le striatum libère une molécule qui apporte du plaisir : la dopamine. De plus, la dopamine a aussi pour effet de renforcer les circuits de commande neuronaux qui ont assuré la réussite de l’opération, favorisant ainsi l’apprentissage et l’amélioration des performances

2 - Un cerveau nommé désir

Henri Bergson avait déjà bien pressenti ce rôle fondamental du plaisir dans le processus de l’évolution, lorsqu’il affirmait il y a plus de cent ans : « Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie1. » On sait aujourd’hui que c’est un neuromédiateur, la dopamine, qui est la principale source du plaisir et qu’elle récompense ainsi toute action positive des renforceurs primaires. Pour l’être humain, rien n’a changé depuis des millions d’années : son striatum continue de l’inciter à rechercher ces expériences fondamentales, même si elles ne sont plus nécessairement liées à sa survie.

2 - Un cerveau nommé désir

Motivés par notre striatum, nous sommes donc naturellement en permanence en quête du plaisir que nous apportent la nourriture, le sexe, le statut social et l’information-distraction. Les scientifiques qualifient « d’incitations » les ordres du striatum qui nous poussent à rechercher sans cesse ces renforceurs primaires et la récompense qui accompagne leur satisfaction

2 - Un cerveau nommé désir

Des expériences avec des souris ont montré que si on fait disparaître les neurones à dopamine du striatum, elles se laissent mourir en quelques semaines, car elles ne recherchent plus de nourriture. La faim a beau les tenailler, il leur manque le désir de se nourrir, le désir de vivre. On a observé le même phénomène chez des humains dont le striatum a été endommagé à la suite d’un accident

2 - Un cerveau nommé désir

le striatum : une structure cérébrale profonde, composée de trois sous-territoires, le noyau caudé, le striatum ventral et le putamen. Présent chez la plupart des animaux (poissons, reptiles, oiseaux, mammifères), le striatum est programmé pour poursuivre cinq objectifs essentiels à la survie immédiate de l’individu et de l’espèce : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, recueillir des informations sur son environnement et obtenir tout cela en produisant le moins d’effort possible. On appelle ces cinq motivations fondamentales les « renforceurs primaires ».

2 - Un cerveau nommé désir

le cortex reste cependant soumis à une autre partie de notre cerveau, beaucoup plus archaïque

2 - Un cerveau nommé désir

Le cortex cérébral est la principale arme de l’être humain

1 - Platon et le désir comme manque

Aristophane nous explique qu’à l’origine, tous les êtres humains étaient doubles : ils possédaient deux têtes, quatre jambes et quatre bras. Certains possédaient aussi deux sexes masculins, d’autres deux sexes féminins et d’autres encore un sexe féminin et un sexe masculin (les fameux androgynes). Comme ils tentèrent de monter jusqu’au ciel et de menacer les dieux, Zeus décida de les punir en les coupant en deux : ils seraient ainsi moins dangereux. Cela eut pour conséquence que chaque être seraient désormais à la recherche de sa moitié perdue. Certains seraient en quête d’individus du même sexe, tandis que les androgynes seraient à la recherche d’individus de sexe opposé. « C’est de ce moment que date l’amour inné des hommes les uns pour les autres : l’amour recompose l’antique nature, s’efforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine. Chacun cherche sa moitié1 », en conclut Aristophane. Ce mythe a traversé les siècles avec bonheur et a inspiré les divers courants culturels d’exaltation de la passion amoureuse, notamment le romantisme au XIXe siècle et plus récemment le courant new age, avec la notion de « flamme jumelle » qui en est le dernier avatar. Il évoque la notion de désir comme « manque », puisqu’il nous dit que nous recherchons, et donc désirons, de manière consciente ou inconsciente, notre moitié perdue. Cette séparation originelle crée un manque qui est au fondement même du désir amoureux. Mais il nous dit aussi que ce manque sera définitivement comblé si l’être unique, jadis séparé en deux, parvient à retrouver son unité perdue à travers la rencontre des deux êtres qui le composaient

1 - Platon et le désir comme manque

Je ne crois pas un seul instant à ce mythe de l’amour-fusion, qui renvoie très probablement à la nostalgie de la vie embryonnaire où le fœtus fusionnait avec sa mère, mais force est de constater qu’il a inspiré de nombreux artistes et continue de vivre, plus ou moins consciemment, dans le cœur de beaucoup d’êtres humains.

1 - Platon et le désir comme manque

« Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque : voilà les objets du désir et de l’amour3. » Selon une telle conception, nous ne cessons d’aimer et de désirer ce qui nous manque. Mais dès lors que nous possédons l’être ou la chose désirée, notre désir et notre amour s’émoussent

1 - Platon et le désir comme manque

chez les enfants, dès le plus jeune âge : ils désirent intensément un jouet, mais s’en lassent souvent assez vite et portent leur amour-désir sur un autre jouet qu’ils ne possèdent pas encore.

1 - Platon et le désir comme manque

Du point de vue de la vie amoureuse, c’est typiquement la description de la passion : ardente, obsédante, passionnée tant que nous sommes dans l’attente et la découverte de l’autre… et qui s’éteint progressivement dès lors que la relation s’installe dans la durée.

1 - Platon et le désir comme manque

Arthur Schopenhauer, lointain disciple de Platon : « Toute notre vie oscille comme un pendule de la souffrance à l’ennui5. » Je souffre quand je désire ce que je n’ai pas et je m’ennuie une fois que je possède ce que j’ai désiré ! Je souffre d’être au chômage, mais je m’ennuie dans mon travail. Je souffre d’être célibataire, mais je m’ennuie en couple, etc. 

1 - Platon et le désir comme manque

Platon est moins pessimiste que Schopenhauer et propose deux issues possibles à cette dialectique infernale du désir-manque, qui rend l’être humain toujours insatisfait. Tout d’abord, il explique qu’éros nous incite à vouloir posséder de manière éternelle. Nous ne souhaitons pas jouir d’une chose ou d’un être de manière ponctuelle, mais pour toujours. Or comme nous ne sommes pas immortels dans ce corps, il existe deux manières d’accéder à l’immortalité ici-bas : par la procréation et par la création artistique

1 - Platon et le désir comme manque

Socrate nous explique en effet que Diotime lui a révélé qu’Éros, l’amour-désir, était une sorte de daïmon, de messager entre les dieux et les hommes, qui nous conduisait, telle une échelle ascendante, de la beauté des choses matérielles jusqu’à la beauté des choses les plus élevées et les plus réjouissantes, pour atteindre la contemplation du Beau en soi 

1 - Platon et le désir comme manque

Songe donc quel bonheur serait pour un homme s’il pouvait voir le Beau lui-même, simple, pur, sans mélange, et contempler, au lieu d’une beauté chargée de chairs, de couleurs et de cent autres superfluités périssables, la beauté divine elle-même sous sa forme unique

1 - Platon et le désir comme manque

Le bonheur est encore possible, mais au prix d’une élévation spirituelle incessante qui conduit l’être humain jusqu’à la contemplation de la beauté divine

1 - Platon et le désir comme manque

Pour Platon, le désir procède ainsi d’un manque radical : il exprime la nostalgie d’un monde divin et plein. On retrouve là l’idée centrale de la pensée platonicienne : en nous incarnant, nous avons été séparés de la source divine et notre âme nostalgique n’a de cesse de vouloir retrouver l’union au divin

1 - Platon et le désir comme manque

l’amour-désir chez Platon nous pousse à retrouver le divin (le Beau, le Vrai et le Bon en soi) et à fusionner avec lui. C’est cette théorie qui a inspiré le concept « d’amour platonique », lequel porte toutefois à malentendu. Cette conception sous-entend en effet pour beaucoup l’idée d’un amour sans relation charnelle. Ce n’est pas ce qu’exprime Platon : il évoque l’idée d’une échelle ascendante de l’amour-désir qui part du corps pour s’élever jusqu’au divin.

Introduction

« Le désir est l’essence de l’homme », écrivait le philosophe Baruch Spinoza au XVIIe siècle. Par son caractère infini, il est peut-être ce qui nous caractérise en propre, mais il est surtout le moteur de nos existences

Introduction

L’absence de désir – dont la dépression est un symptôme moderne – signe l’affaissement de notre puissance vitale. En même temps, le désir peut nous conduire à la passion destructrice ou illusoire, à une insatisfaction permanente, à la haine ou à la frustration nées de l’envie et de la convoitise, ou à toutes sortes d’addictions qui nous privent de notre liberté intérieure.

Introduction

Désirs aliénants et désirs libérateurs

Introduction

Les études scientifiques les plus récentes ont montré que notre cerveau primaire, le striatum, donnait l’impulsion de nos désirs fondamentaux de nourriture, de sexe, de reconnaissance sociale ou d’information. Elles ont aussi montré qu’il ne pose aucune limite à cette quête, qui est récompensée par la substance chimique du plaisir : la dopamine. Soumis à son striatum, l’être humain est donc mû par une soif illimitée de ces désirs primaires et du plaisir qu’ils lui procurent.

Introduction

le désir tient un rôle essentiel dans nos vies et notre bonheur comme notre malheur dépendent de sa maîtrise. L’être humain doit apprendre à réguler ses désirs : c’est le fondement même de l’éducation et de la civilisation

Introduction

Épuisés, en effet, par trois années de pandémie, angoissés par les conséquences du dérèglement climatique, de la guerre en Ukraine ou la baisse du pouvoir d’achat, désabusés par le politique et méfiants à l’égard de toutes les institutions, nombre de nos contemporains se sentent fragiles et atteints sur un plan moral et psychologique.

Introduction

On se sent moins vivants, on jouit moins intensément de la vie, la tristesse l’emportant souvent sur la joie. Cela conduit certains à se poser des questions et à chercher à réorienter leur vie vers d’autres valeurs que le consumérisme et la reconnaissance sociale, à lui donner davantage de sens, à vivre plus sobrement

Introduction

C’est ainsi que de nombreux jeunes cherchent à échapper au modèle dominant, notamment dans le domaine professionnel, mais aussi sexuel, qui ne correspond pas à leurs désirs profonds, davantage tournés vers l’être et la qualité de vie que vers l’avoir et la performance.

Introduction

de manière paradoxale – et cela est vrai pour toutes les crises de vie et ne date pas d’aujourd’hui –, cet épuisement de l’élan vital et du désir se traduit aussi par une exacerbation des désirs les plus matériels, on pourrait dire des envies, qui apparaissent comme des compensations à cette forme de déprime : on consomme pour se donner des mini-shoots de plaisir. Ce consumérisme peut prendre diverses formes : achats compulsifs, addiction au sexe, aux jeux, aux réseaux sociaux, besoin de reconnaissance sociale exacerbé, etc. Nos puissants désirs et nos grandes joies se transforment ainsi en petites envies et en vains plaisirs. Et nous devenons parfois les esclaves de ces envies et de ces plaisirs, sans que ceux-ci ne satisfassent vraiment notre soif profonde. 

Introduction

Je suis convaincu que nous ne retrouverons notre liberté et une joie véritable qu’en cultivant l’élan vital, en réveillant nos désirs les plus personnels et en les orientant vers des objets qui nous font grandir, qui donnent du sens à nos vies, qui nous permettent de nous réaliser pleinement selon notre nature singulière

Introduction

le désir humain comporte à la fois une part imaginative et une part consciente qui le rendent beaucoup plus complexe. Ce n’est pas la même chose de ressentir le besoin de nous nourrir (la sensation de faim) et de désirer manger un plat particulier

Introduction

La psychanalyse a parfaitement montré qu’avant d’être fixé sur un objet, le désir est pris dans une dynamique complexe et créatrice (émotions, fantasmes, projections, transferts, etc.). Ce qui faisait écrire à Gaston Bachelard que « l’homme est une création du désir, non pas une création du besoin2 ».

Introduction

Spinoza souligne le caractère conscient du désir, qu’il définit comme « l’appétit avec conscience de lui-même4 ». 

Introduction

Selon le mot de Cicéron, « le désir se porte, fasciné et enflammé vers ce qui paraît être un bien*1 ». D’autre part, ils l’identifient à « l’appétit » (au sens large du terme), ce mouvement qui consiste à faire un effort pour se rapprocher d’un bien qui nous attire.

Introduction

Quelle est la nature profonde du désir humain ? Le mot « désir » vient du verbe latin desiderare, formé à partir de sidus, sideris, qui désigne l’astre ou la constellation d’étoiles. Il existe deux interprétations radicalement opposées de cette étymologie. On peut interpréter desiderare comme « cesser de contempler l’étoile », ce qui renvoie à l’idée d’une perte, d’un manque, d’un « déboussolement ». Le marin qui ne regarde plus les astres peut se perdre en mer. L’être humain qui ne contemple plus les choses célestes peut se perdre dans l’attrait des choses terrestres. Inversement, on peut comprendre desiderare comme ce qui nous libère du fait d’être sidéré (siderare), car la sideratio (sidération) est traditionnellement comprise par les Romains comme le fait de subir l’action funeste des astres. Nous avons conservé ce sens lointain lorsque nous disons que nous sommes « sidérés » après un choc ou une épreuve : nous sommes immobiles, sans réactions, privés de liberté d’action. Or ce qui va nous remettre en mouvement, c’est de-sidere, le désir. Le désir est ainsi compris comme le moteur de l’action, comme la puissance vitale qui nous libère de la sidération, quelle qu’en soit la cause.

Introduction

D’un côté, en effet, le désir est perçu comme un manque, et on soulignera essentiellement son caractère négatif. D’un autre, il est perçu comme une puissance et comme le principal moteur de nos existences.

Introduction

 C’est Platon, le plus célèbre disciple de Socrate, qui a le mieux théorisé cette dimension insatiable du désir humain sous cette forme du manque : « Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque : voilà les objets du désir et de l’amour5. » Aristote relativise cette assimilation du désir au manque et y voit surtout notre unique force motrice : « Il n’y a qu’un seul principe moteur : la faculté désirante6. » Au XVIIe siècle, Spinoza reprend cette idée et la met au cœur de toute sa philosophie éthique : le désir est la puissance vitale qui mobilise toutes nos énergies et, bien orienté par la raison, lui seul peut nous conduire à la joie et au bonheur suprême (la béatitude).

Introduction

Nous pouvons expérimenter dans notre vie le désir-manque et le désir-puissance. Lorsque nous sommes pris au piège de l’insatisfaction permanente, de la comparaison sociale, de l’envie, de la convoitise, de la passion amoureuse, nous donnons raison à Platon. Mais lorsque nous sommes portés par la joie de créer, de grandir, de progresser, d’aimer, de déployer nos talents, de nous accomplir dans notre activité, de connaître, nous donnons raison à Spinoza.

5 - Consumérisme et manipulation du désir

Jean Baudrillard n’hésite pas non plus à comparer la mentalité consumériste à la pensée magique des sociétés archaïques, car elle repose aussi en la croyance dans la toute-puissance des signes : nous croyons aux signes du bonheur et de la réussite que nous propose la société de consommation et c’est pourquoi nous les désirons.

6 - Petite Poucette aliénée

le philosophe Baruch Spinoza nous explique que l’on peut quitter une addiction ou un désir mal orienté qui nous rend malheureux simplement par la force de la raison et de la volonté. Pour y parvenir, il faut mobiliser un affect positif plus puissant que l’affect à contrarier et donc réorienter notre désir vers une chose, une personne, une activité qui nous épanouit davantage. La raison nous aidera à discerner ces nouveaux objets et la volonté à les poursuivre, mais c’est le désir qui sera le moteur du changement. 

6 - Petite Poucette aliénée

Je raconte souvent l’exemple de ce jeune adulte devenu addict à Internet et finalement dépressif qui ne parvenait plus à quitter sa chambre et ses écrans. Il a pu s’en sortir parce qu’un de ses proches lui a offert un adorable petit chat, qui a su progressivement mobiliser son attention et son amour. Il a commencé à quitter sa chambre pour aller ouvrir et fermer la fenêtre du salon qui donnait sur un jardin, permettant au chat d’aller et venir. Petit à petit, son amour et son intérêt pour le chat l’ont aidé à se prendre en mains pour sortir de sa dépression et de son addiction.

6 - Petite Poucette aliénée

lorsque nos désirs sont mal orientés et abîment notre santé ou nous rendent tristes, la meilleure solution est d’apprendre à les réorienter vers des objets qui nous mettent dans la joie.

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

Aristote commence sa Métaphysique par cette phrase : « Tous les hommes ont par nature le désir de connaître » et c’est, tout compte fait, grâce à ce désir qu’est née la philosophie. 

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

le désir (orexis) chez l’être humain est toujours corrélé à une pensée, une image, une sensation et c’est ce qui lui permet de s’orienter vers tel ou tel objet. Il en résulte parfois des conflits internes entre deux désirs contradictoires, mû par des facultés de l’âme différentes3. Par exemple, mû par une sensation visuelle ou mon imagination, je peux désirer avoir une relation sexuelle avec telle personne, mais ma réflexion peut engendrer le désir opposé

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

L’éthique qui, pour Aristote, vise au bonheur, réside alors en grande partie dans notre capacité à régler nos propres conflits intérieurs entre des désirs ou des souhaits contradictoires.

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

Ce qui est compliqué pour l’enfant, qui est surtout mû par ses désirs sensibles, devient plus aisé pour l’adulte chez qui la dimension rationnelle est plus forte et qui transmet à l’âme désirante ce que la raison estime être bon (agathon). C’est ce qu’Aristote appelle le « souhait » (boulèsis). La boulèsis modifie notre rapport au désir et nous aide à moduler, réfréner, différer ou renoncer à nos appétits sensibles (pulsions, désirs des sens…). Elle permet aussi de hiérarchiser nos valeurs en vue de ce que nous estimons le meilleur, d’avoir des projets à long terme et un plan de vie.

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

Aristote écrit en effet au début de son Éthique à Nicomaque : « Le bonheur est le seul but que nous recherchons toujours pour lui-même et jamais pour une autre fin4. »

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

Cette voie du juste milieu fonde ainsi une éthique de la modération : celui qui entend bien gouverner sa vie en vue du bien doit apprendre à éviter les excès, y compris ceux de la vie ascétique et du renoncement aux plaisirs

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

Aristote précise aussi que nous développons et fortifions la vertu par la pratique. De même qu’on devient forgeron en forgeant, explique-t-il, nous devenons vertueux en pratiquant la vertu. Concrètement, nous devenons courageux en posant des actes de courage, justes en posant des actes de justice, tempérants en posant des actes de tempérance, humbles en posant des actes d’humilité, etc.

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

Chaque petit acte vertueux nous aide à nous fortifier et crée ainsi progressivement une habitude, un pli de l’âme, qui enracine la vertu en nous.

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

Épicure commence par s’interroger de manière très pragmatique : « À propos de chaque désir, il faut se poser cette question : quel avantage résulterait-il pour moi si je le satisfais, et qu’arrivera-t-il si je ne le satisfais pas6 ? » Dans cette visée thérapeutique, le philosophe athénien établit une distinction entre plusieurs types de désirs. Il y a tout d’abord les désirs naturels et nécessaires (que l’on peut assimiler à des besoins) : manger, boire, se vêtir, avoir un toit, etc. Viennent ensuite les désirs naturels et non nécessaires, comme la cuisine raffinée, la beauté des vêtements, le confort de l’habitat, etc. Enfin, les désirs qui ne sont ni naturels, ni nécessaires et qu’on pourrait qualifier de superflus : le luxe, les honneurs, le pouvoir, la renommée, etc. Épicure affirme qu’il suffit de poursuivre les désirs naturels et nécessaires pour être heureux. Les désirs naturels et non nécessaires peuvent être recherchés, mais avec détachement, et il convient d’éviter de poursuivre les désirs non naturels, notamment de gloire et de richesse, qui sont difficiles à obtenir et génèrent soucis et frustrations. Et Épicure de s’enthousiasmer : « Grâce soit rendue à la bienheureuse nature qui a fait que les choses nécessaires soient faciles à atteindre et que les choses difficiles à atteindre ne soient pas nécessaires7 ! »

1 - Aristote et Épicure Une sagesse de la modération

Au fond, il prône une recherche de la qualité en toutes choses – qualité des relations amicales, qualité des aliments et des boissons, qualité de vie – et non la quantité. Il convient de rechercher un plaisir, mais un plaisir simple, accessible et de qualité.

2 - Stoïcisme et bouddhisme : se libérer du désir

« N’attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites, écrit Épictère, cet ancien esclave romain devenu philosophe. Décide de vouloir ce qui t’arrive et tu seras heureux1. » L’éthique stoïcienne vise à atteindre deux objectifs : l’autonomie (autarkeia), la liberté intérieure, et la tranquillité de l’âme (ataraxia), la paix intérieure. Et elle considère que le désir constitue le principal obstacle à l’accomplissement de ces objectifs.

2 - Stoïcisme et bouddhisme : se libérer du désir

Il ne s’agit plus de désirer le monde, mais de le vouloir. De désirer manger, faire l’amour, apprendre ou s’améliorer, mais de le vouloir. Tant que nous sommes dans l’ordre du désir, nous sommes soumis au désordre de nos pulsions et de nos appétits, qui restent difficilement maîtrisables par la raison. Un bonheur profond et durable, une véritable paix intérieure, sera toujours impossible. Tandis que si nous renonçons aux désirs et les remplaçons par des souhaits raisonnés, nous serons maîtres de nous-mêmes et réellement en paix

2 - Stoïcisme et bouddhisme : se libérer du désir

Ce passage du désir à la volonté constitue une véritable conversion philosophique et passe par un effort ascétique puissant : l’anéantissement de nos appétits sensibles ou intellectuels pour les remplacer par un vouloir rationnel. « Ce n’est pas par la satisfaction des désirs qu’on obtient la liberté, mais par la destruction du désir2 », écrit Épictète dans ses Entretiens au début de notre ère

2 - Stoïcisme et bouddhisme : se libérer du désir

si le stoïcisme vise à éradiquer le désir en soi, le bouddhisme cherche plus précisément à éteindre la soif liée au désir. Ce qu’il faut supprimer, ce n’est pas tant le désir que l’attachement qui en découle. Il est normal que je ressente le désir d’être en bonne santé, mais si je m’attache à ce désir, je serai malheureux dès que la maladie surviendra. Il est sain de désirer progresser spirituellement et de désirer atteindre le nirvana, mais si je reste cramponné à ce désir, je souffrirai de mon peu de progrès ou de ne pas atteindre rapidement ce but élevé. Il s’agit donc d’apprendre à désirer de manière détachée, sans avidité, sans convoitise, sans attente. Ce n’est donc pas tant le désir qui est problématique que le désir-attachement, mû par la soif. Et toute la discipline bouddhiste vise à obtenir ce « non-attachement », aux êtres, au monde et à la vie, qui n’a rien à voir avec un détachement, qui serait une sorte d’indifférence froide à tout. Quitter le désir-attachement c’est, me semble-t-il, dans l’esprit profond de la doctrine originelle du Bouddha, parvenir à cet état de liberté et de paix intérieure, qui n’empêche pas l’amour des autres et de la vie, mais nous apprend à les savourer en acceptant que tout puisse disparaître ou nous être retiré (car tout est impermanent selon la doctrine bouddhiste). Dans la relation amoureuse, par exemple, c’est apprendre à aimer sans jalousie ni possessivité, en sachant que l’autre ne m’appartient pas, qu’il peut me quitter ou mourir, sans que cela vienne me troubler. C’est une forme d’acceptation profonde de ce qui est 

3 - La loi religieuse

l’Église va imposer aux fidèles toute une série de règles et le droit canon ecclésiastique va prendre un essor considérable au Moyen Âge. C’est dans ce contexte que s’élabore la liste des fameux sept péchés capitaux pouvant conduire en enfer : l’orgueil, l’avarice, l’envie, la colère, la luxure, la paresse et la gourmandise. Or ces péchés correspondent en grande partie à des désirs déréglés impulsés par notre striatum : la gourmandise correspond au renforceur primaire de recherche de nourriture ; la luxure, à celui du sexe ; l’orgueil et l’envie à celui du statut social et la paresse à celui du moindre effort. Ce qui fait dire au chercheur en neurosciences Sébastien Bohler : « Une grande partie du travail d’un chrétien au Moyen Âge consistait à lutter par la volonté contre ses grands renforceurs primaires2. »

3 - La loi religieuse

Muhammad impose à ses fidèles cinq commandements fondamentaux que l’on appellera « les cinq piliers de l’islam » : la profession de foi au Dieu unique, le pèlerinage à La Mecque, les cinq prières quotidiennes, le jeûne annuel du ramadan et la pratique de l’aumône envers les pauvres. Hormis la profession de foi, on peut voir dans les quatre autres piliers une forme de régulation du désir : le pèlerinage et le jeûne invitent à modérer, pendant des temps donnés, les désirs charnels et donc à mieux maîtriser le corps. La prière invite à l’humilité devant Dieu et l’aumône au partage et à la justice, autant de manières de réguler les désirs de domination et d’avidité. À ces commandements fondamentaux, la religion musulmane, à travers ses deux grandes sources – le Coran et les hadiths –, ajoutera de nombreuses prescriptions juridiques visant également à réguler les désirs et à maintenir la cohésion de la communauté, notamment la condamnation de la sexualité hors mariage et de l’adultère.

3 - La loi religieuse

la loi religieuse vise ainsi le plus souvent à réguler les désirs humains désordonnés en posant des limites et des interdits.

3 - La loi religieuse

La loi civile s’est en grande partie inspirée d’elle : presque partout dans le monde, la loi condamne le meurtre, le vol, l’inceste, le viol et même encore l’adultère, autant de manières de réguler les désirs humains illimités, afin de rendre la vie commune possible et de faire reculer la violence, liée principalement aux désirs de convoitise et de domination

3 - La loi religieuse

la loi civile entend imposer ces lois en dehors de toute référence religieuse, afin de permettre à des individus ne partageant pas les mêmes croyances de vivre ensemble. Cela a été le grand défi de la naissance du politique moderne en Europe

4 - Vers la sobriété heureuse

« La sobriété est facteur de bonheur parce qu’elle est libératrice. Si j’en veux toujours plus, quand suis-je satisfait ? »Pierre Rabhi (XXe siècle)

4 - Vers la sobriété heureuse

un nombre croissant d’individus, et notamment de jeunes, cherchent à sortir de la logique du « toujours plus » impulsée par notre striatum et entretenue par la société de consommation. Certains le font à travers la poursuite d’une pratique religieuse stricte (et à laquelle ils sont parfois revenus après une conversion), mais la plupart cherchent à limiter ou réguler leurs désirs dans une perspective laïque, à travers des choix de vie plus sobres, un désir d’allègement et de partage, ou encore une meilleure maîtrise de leur corps et de leur esprit.

4 - Vers la sobriété heureuse

Un enfant avait fait remarquer qu’il n’était pas aussi heureux lorsque sa maman lui achetait tout de suite un jouet qu’il voyait dans un magasin que s’il l’avait attendu longtemps. Presque tous les autres élèves ont surenchéri : « Oui, si on désire un jouet et qu’on ne l’a pas tout de suite, on est beaucoup plus heureux quand on va l’avoir ! » ; « Ça fait du bien d’imaginer qu’on va l’avoir et on en profite encore plus après », etc.

4 - Vers la sobriété heureuse

Les religions ont presque toutes imposé des périodes de jeûne afin d’éduquer l’être humain à maîtriser sa pulsion de faim : Yom Kippour chez les juifs, carême chrétien, jeûne du ramadan pour les musulmans, nombreux jeûnes dans l’hindouisme, etc

4 - Vers la sobriété heureuse

Les vertus médicales du jeûne régulier sont connues depuis l’Antiquité. Et les Anciens avaient aussi constaté qu’il avait pour vertu de clarifier l’esprit. C’est la raison pour laquelle Pythagore et Socrate le pratiquaient et le recommandaient à leurs disciples. 

4 - Vers la sobriété heureuse

j’ai constaté que le fait d’être abreuvé quotidiennement d’informations créait de l’anxiété, de l’addiction et était inutilement chronophage.

4 - Vers la sobriété heureuse

Notre cerveau primaire nous pousse aussi à la recherche de pouvoir et de reconnaissance sociale. L’argent satisfait ces deux aspirations. Le désir d’enrichissement et de prestige social a été, et reste encore pour beaucoup, un moteur très puissant qui conditionne la plupart des choix de vie

4 - Vers la sobriété heureuse

une question qui revient très souvent pendant les entretiens d’embauche : « Est-ce que vous avez assez confiance en moi pour me laisser m’organiser, pour produire ce que vous voulez que je produise sans pour autant dégrader mes équilibres de vie personnelle ? Ça, c’est extrêmement nouveau2. »

1 - Spinoza et le désir comme puissance

« Le désir est l’essence de l’homme. »Baruch Spinoza (XVIIe siècle)

1 - Spinoza et le désir comme puissance

il est le premier penseur des Lumières et prône une séparation du politique et du religieux, avec la création d’un état de droit garantissant la liberté de conscience et d’expression de tous les citoyens… ce qui lui vaudra, cette fois, d’être persécuté par le pouvoir politique en place. La métaphysique : il affirme que Dieu, à la fois matière et esprit, est la substance de tout ce qui est et il l’identifie à la nature, ce qui lui vaudra l’accusation d’athéisme. L’éthique, enfin, qui révolutionne totalement la pensée morale depuis les Grecs en plaçant le désir et la puissance vitale au cœur de l’agir humain… ce qui lui vaudra l’accusation de libertinage. Spinoza a mis la vérité au-dessus de tout et il l’a payé très cher

1 - Spinoza et le désir comme puissance

Toute la pensée éthique de Spinoza repose sur son observation du conatus, « l’effort » que nous faisons pour persévérer et grandir dans notre être. Ce conatus, ce moteur de toute notre existence, qui nous incite à survivre et à accroître notre puissance d’exister, il le qualifie aussi, à la suite des Anciens, « d’appétit ». Et Spinoza précise encore que « le désir est l’appétit avec conscience de lui-même » et que « le désir est l’essence même de l’homme »1.

1 - Spinoza et le désir comme puissance

puisqu’il est l’essence même de l’homme, il ne faut en rien chercher à le diminuer ou à le supprimer, comme le prônent les courants ascétiques. Sans cette force du désir, on n’est plus humain. Un être humain qui ne ressent plus aucun désir est un mort-vivant. Il est fondamentalement un être désirant et c’est grâce au désir que nous jouissons pleinement de la vie. Spinoza ne porte donc aucun jugement moral sur le désir : en bon observateur de la nature humaine, il constate, à la suite d’Aristote, la place centrale qu’il tient dans nos existences. En soi, le désir n’est ni bon ni mauvais. C’est une force qu’il faut cultiver pour nous sentir de plus en plus vivants, pour augmenter notre puissance d’action et pour grandir dans la joie.

1 - Spinoza et le désir comme puissance

Spinoza, qui définit la joie, comme « le passage d’une moindre à une plus grande perfection » et inversement la tristesse, comme « le passage d’une plus grande à une moindre perfection »2. Ainsi, joie et tristesse sont les deux sentiments fondamentaux qui accompagnent l’augmentation ou la diminution de notre puissance vitale. Chaque fois que nous diminuons notre puissance d’être et d’action, nous ressentons de la tristesse, chaque fois que nous l’augmentons, nous ressentons de la joie.

1 - Spinoza et le désir comme puissance

toute la philosophie éthique de Spinoza vise à nous apprendre à grandir sans cesse dans la joie, jusqu’à atteindre une joie permanente, que rien ni personne ne pourra jamais nous enlever, et qu’il appelle « la béatitude ».

1 - Spinoza et le désir comme puissance

Pour grandir dans cette joie, il est donc nécessaire de cultiver le désir, puisqu’il constitue l’appétit qui nous aide à augmenter notre puissance vitale

1 - Spinoza et le désir comme puissance

Si nous orientons nos désirs vers des idées, des choses, des personnes, des aliments qui sont bons pour nous, qui s’accordent bien avec notre nature singulière, alors la jouissance de ces choses et de ces êtres fera croître notre puissance vitale et nous mettra dans la joie. À l’inverse, si nous orientons nos désirs vers des choses ou des êtres qui s’accordent mal avec ce que nous sommes, leur possession ou leur fréquentation entraîneront tôt ou tard de la tristesse, car elles diminueront notre capacité d’action et notre puissance vitale

1 - Spinoza et le désir comme puissance

« tôt ou tard », car l’effet d’un mauvais accord n’est pas toujours immédiatement perceptible. Nous pouvons même ressentir au début de la joie, mais avec le temps, cette joie se transformera en tristesse. Ce type de « fausse joie », Spinoza l’appelle « joie passive » pour la distinguer de la vraie joie durable qu’il qualifie de « joie active ».

1 - Spinoza et le désir comme puissance

peuvent être vraies ou fausses, adéquates ou inadéquates. Freud montrera quelques siècles après Spinoza que nous projetons souvent inconsciemment sur l’autre des attentes infantiles non résolues, ou bien l’image d’un parent qui nous a peut-être maltraités, et nous reproduisons sans le savoir un scénario névrotique dans notre vie amoureuse

1 - Spinoza et le désir comme puissance

la joie sera passive, elle ne durera pas, car nous avons idéalisé la personne, nous avons projeté sur elle un tas de choses qu’elle n’est pas, nous l’avons imaginée plus que nous l’avons connue en vérité.

1 - Spinoza et le désir comme puissance

nos désirs, pour nous conduire vers des objets ou des personnes qui s’accordent bien à notre nature, doivent être soumis au discernement de notre raison et éventuellement de notre intuition.

1 - Spinoza et le désir comme puissance

C’est par l’observation minutieuse de nous-même (« Connais-toi toi-même », comme disait Socrate !), par l’introspection, par l’expérience de la vie, que nous développerons toujours plus d’idées adéquates qui nous aideront à bien orienter nos désirs. 

1 - Spinoza et le désir comme puissance

notre bonheur consiste à continuer de désirer ce qu’on possède déjà, puisque cela nous convient et augmente notre puissance vitale.

1 - Spinoza et le désir comme puissance

ni la volonté ni la raison ne peuvent seules venir à bout d’un vice profond ou d’une addiction à un objet qui nous met dans la tristesse, car ce sont deux facultés de l’esprit. Or des facultés de l’esprit ne peuvent, à elles seules, lutter contre la puissance des affects. Pour cela, il faut mobiliser le désir, qui engage la totalité de notre être, à commencer par les sentiments et les émotions. Ainsi affirme-t-il cette vérité capitale : « Un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment plus fort que le sentiment à contrarier3. » 

1 - Spinoza et le désir comme puissance

La passivité est un état où nous sommes mus par des causes extérieures et des idées inadéquates. Elle génère de la tristesse et des joies passives. L’activité est un état où nous agissons à partir de notre nature propre et d’idées adéquates. Elle produit de la joie active. Il s’agit donc de convertir nos passions tristes en actions joyeuses.

1 - Spinoza et le désir comme puissance

mal pour parvenir au bien, de souffrir pour ne plus souffrir. Plutôt que de lutter contre les joies passagères ou les plaisirs artificiels, plutôt que de diminuer notre puissance vitale désirante et d’ajouter à la tristesse, il nous invite à augmenter la joie, l’amour, notre puissance d’action et de création. Au lieu de nous épuiser à traquer nos mauvais désirs, concentrons-nous sur ceux qui augmentent notre joie, car le meilleur moyen de changer, c’est de désirer ce qui nous comble.

1 - Spinoza et le désir comme puissance

 « La Béatitude n’est pas le prix de la vertu, mais la vertu elle-même ; et cet épanouissement n’est pas obtenu par la réduction de nos appétits sensuels, mais c’est au contraire cet épanouissement qui rend possible la réduction de nos appétits sensuels4. »

2 - Nietzsche et « le grand désir »

Le dernier homme est un homme du ressentiment et de la négation envers la vie (puisqu’il ne veut en conserver que l’agréable et le confortable). Il ne sait ni créer, ni aimer, ni désirer, même s’il n’en a pas toujours conscience, car il croit aimer la vie puisqu’il vénère la santé et sait doser ses petits auxiliaires du plaisir que sont la nutrition et la sexualité : « On aura son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit ; mais on révérera la santé4. » Cet homme étriqué, qui n’aspire plus à se dépasser et qui refuse toute souffrance infligée par la vie, est typiquement l’homme occidental moderne qui a supplanté cet autre homme du ressentiment qu’était l’homme religieux. Au nihilisme religieux qui refusait le monde, le désir et la vie au nom d’un arrière-monde, succède donc une nouvelle forme de nihilisme, qui refuse cette fois la vie et le grand désir au nom de la santé et de la sécurité.

2 - Nietzsche et « le grand désir »

Le surhomme de Nietzsche représente, à l’inverse, l’homme qui assume pleinement la vie et qui ne cherche pas à tout prix à fuir la mort. Il est entièrement dans l’affirmation et dit un « grand oui sacré » à la vie, car il l’aime telle qu’elle est, et non pas telle qu’il voudrait qu’elle soit. Nietzsche nous invite donc à la fois à affirmer notre volonté de puissance, à désirer pleinement, à nous dépasser, à développer notre créativité, mais aussi à acquiescer au monde et à la vie. C’est pourquoi il choisit comme devise une formule typiquement stoïcienne : Amor fati (« aime le destin »). 

2 - Nietzsche et « le grand désir »

Nietzsche écrira dans son dernier livre, Ecce homo : « Je n’ai jamais eu aucun désir. » Le philosophe signifie ainsi qu’il ne constate dans sa vie aucun effort pour contrarier son destin. Il a su embrasser comme nécessaires et souhaitables tous les événements de son destin, à commencer par sa mauvaise santé. Il a su aussi maîtriser ses pulsions et ses passions. Mais dans le même temps, Nietzsche, qui aime cultiver les paradoxes, affirme qu’il faut désirer pleinement.

2 - Nietzsche et « le grand désir »

Contre « le désir faible », qui est à la fois acquiescement à nos pulsions et refus de la vie, il prône un désir fort qui incite à la maîtrise de nos pulsions, à un amour inconditionnel de la vie et au dépassement de soi dans un élan créateur constant

2 - Nietzsche et « le grand désir »

pour Nietzsche, l’ivresse est la condition préalable à toute création : « Pour qu’il y ait art, pour qu’il y ait une action ou une contemplation esthétique quelconque, une condition physiologique préliminaire est indispensable : l’ivresse10. » Peu importe la cause de notre ivresse, ce qui compte, c’est de vivre l’expérience de cet état modifié de conscience qui nous donne ce sentiment de force accrue, de plénitude, d’accomplissement, ce sentiment d’être relié au Tout.

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

Bergson suggère quelque chose que nous avons tous pu expérimenter : cette joie profonde que nous éprouvons lorsque nous nous sentons parfaitement connectés au monde, à la nature, à la vie. C’est comme si nous étions à notre juste place dans un orchestre en jouant notre partition. Nous nous sentons accordés à la symphonie du monde. Notre moi est relié au Tout. Nous avons le sentiment d’entretenir une relation magique avec la vie. L’élan vital de la vie nous traverse et nous l’enrichissons par notre note personnelle en devenant créateur à notre tour, ou en le conscientisant dans un mouvement de gratitude. 

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

Les enfants eux-mêmes, à travers le jeu, expriment spontanément leur créativité et les méthodes éducatives les plus efficaces comportent souvent un caractère ludique qui permet aux petits de se sentir créatifs tout en apprenant.

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

les psychologues américains parlent aujourd’hui du « trouble du déficit de nature6 » pour désigner les multiples pathologies issues de ce déracinement : anxiété, stress, troubles de l’attention et de la vue, dépression, etc. Ils s’inquiètent notamment de nouvelles générations d’enfants qui n’ont plus aucun contact avec la nature (qualifiés d’« enfants d’intérieurs » ou d’« enfants sous cloche ») et chez qui on constate des symptômes dépressifs, symptomatiques d’une baisse de vitalité, de désir, d’élan vital.

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

La nature est sans doute la meilleure maîtresse de vie qui soit. En l’observant, nous découvrons l’extraordinaire équilibre des écosystèmes : chaque plante et chaque animal jouent un rôle crucial pour maintenir l’harmonie de l’ensemble. La nature n’a aucune peur de la différence : celle-ci est au contraire sa richesse. Il existe partout dans la nature une dynamique de l’interrelation – tout interagit avec tout – qui fait vivre la vie et la rend plus vivante. On constate l’élan vital partout à l’œuvre dans la nature, ses capacités de résistance, d’adaptation et de créativité, et c’est aussi pour cela que nous avons besoin de nous relier à elle comme modèle de sagesse de vie.

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

Pour être relié à l’élan vital, il est aussi capital d’habiter notre corps

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

En 1910, un médecin suisse, Roger Vittoz, dresse déjà le constat que de nombreux citadins présentent des troubles nerveux et de l’attention liés à un dysfonctionnement cérébral. Il met alors au point un traitement de ces troubles par la rééducation du contrôle cérébral qui s’appuie sur la perception sensorielle et le développement de la conscience. Sa méthode consiste à aider le patient à lâcher le contrôle cérébral par une pratique de relaxation, puis à remettre de la conscience sur ses sensations. Le patient redécouvre progressivement le plaisir de toucher, de voir, de goûter, de sentir, d’écouter. Il apprend ainsi à se reconnecter à ses perceptions corporelles par des exercices simples, comme savourer lentement un grain de raisin, ou toucher un objet froid en étant totalement présent à cette sensation. Cette rééducation a un impact sur le cerveau et fait disparaître les troubles nerveux qui affectaient le patient.Cette méthode a en grande partie inspiré la pratique contemporaine de la pleine conscience (mindfulness)

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

si on vit en pleine nature et qu’on rumine ses soucis, lorsqu’on s’y promène, on n’en retire aucun bénéfice ! Lorsqu’au contraire nous habitons notre corps, lorsque nous sommes pleinement présents à chaque sensation, à chaque odeur, à chaque détail, à chaque son, nous nous sentons vraiment vivants et par là même plus joyeux et désirants. 

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

La vie intérieure se nourrit en grande partie d’un apport de connaissances, de lectures, de réflexions, qui nous permettent de satisfaire et de faire grandir notre intelligence et de mieux connaître le monde. Mais elle se nourrit aussi d’introspection, de méditation, d’observation de soi. Lorsqu’une émotion surgit en nous, nous apprenons à l’observer, à la savourer ou à la gérer, plutôt qu’à la refouler ou à la laisser nous mouvoir sans conscience. Lorsque je regarde un film ou que je lis des pages qui me touchent, par exemple, j’aime passer un peu de temps en silence à déguster cette émotion plutôt que reprendre tout de suite une autre activité. Nous apprenons ainsi à vivre avec nous-mêmes, à avoir du plaisir à être seuls pour réfléchir, méditer, goûter des sensations ou des émotions. Autrement dit, savourer nos états d’âme. Cette activité intérieure nous rend beaucoup plus vivants que si nous ne vivions qu’à l’extérieur de nous-mêmes, sans cesse sollicités et ballottés par les stimuli de notre environnement.

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

Ma mère, qui vient d’avoir 97 ans, vit dans une maison de retraite médicalisée car elle ne peut plus marcher. Elle passe son temps à lire, prier, réfléchir et elle manifeste une vitalité et une vivacité d’esprit extraordinaire

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

Lorsqu’on a une vie intérieure, lorsqu’on cultive son esprit, on ne s’ennuie jamais. On a toujours quelque chose à penser, à méditer, à apprendre, à désirer, qui nous stimule et nous rend vivants.

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

L’esprit humain a aussi besoin de contempler pour être pleinement satisfait

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

ma seule prière consiste à dire « Merci ».

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

Nietzsche dénonçait avec force cette nouvelle forme de nihilisme qui consiste à rechercher la sécurité et la santé avant toute chose. Car cette obsession nous fait vivre de manière étroite, mue par la peur permanente qu’il nous arrive quelque chose. À vouloir à tout prix éviter la mort, nous devenons des morts-vivants. Ces dernières années, marquées par l’épidémie mondiale du Covid, ont révélé chez un grand nombre d’individus et dans la gestion politique de la crise cette obsession du tout sanitaire. Plus rien ne comptait que de sauver le maximum de vies possible de la maladie, fût-ce au prix de la liberté individuelle et de l’équilibre psychique et émotionnel de tous. 

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

à quoi bon vivre cent ans, si on ne vit pas vraiment !

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

De nos jours, l’Atarax (qui est le nom d’un anxiolytique) a remplacé l’ataraxie, qui est la paix intérieure recherchée par les épicuriens et les stoïciens

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

Nietzsche dans ce passage de La Volonté de puissance aux accents spinozistes : « Ce que veut l’homme, ce que veut la plus petite parcelle d’organisme vivant, c’est une augmentation de puissance. Dans l’aspiration vers ce but il y a plaisir tout autant que déplaisir ; dans chacune de ses volontés, l’homme cherche la résistance, il a besoin de quelque chose qui s’oppose à lui… Le déplaisir, entrave de sa volonté de puissance, est donc un facteur normal, l’ingrédient normal de tout phénomène organique ; l’homme ne l’évite pas, il en a au contraire besoin sans cesse : toute victoire, tout sentiment de plaisir, tout événement présuppose une résistance surmontée8. »

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

Nietzsche nous invite à traverser la souffrance lorsqu’elle est là et à la surmonter, car il sait qu’elle peut nous faire grandir. 

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

idée similaire chez le psychiatre français Boris Cyrulnik, lorsqu’il parle du trauma comme d’un « merveilleux malheur », puisqu’il a pu observer dans sa vie et dans celle de ses patients ce phénomène de résilience, qui nous permet de rebondir et de grandir après une épreuve de vie. 

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

l’obsession sanitaire s’oppose à l’état de santé, elle est littéralement insane, à la fois malsaine et démente. Au contraire, les dispositifs nous permettant de continuer à “affronter les risques et à en triompher”, ceux-là seuls assurent la vitalité et l’essor d’un collectif. Comme celle d’un individu, la santé vitale d’un groupe humain se mesure à sa capacité à faire face à l’aléa et le vaincre par l’inventivité13. » 

3 - Cultiver l’élan vital et se sentir pleinement vivant

Quand Gide écrit : « Chaque désir m’a plus enrichi que la possession toujours fausse de l’objet même de mon désir », il signifie que ce n’est pas l’objet désiré, mais que c’est le mouvement même du désir qui importe. Parce que le désir nous inspire, nous fait agir, nous rend créatifs.

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

la sexualité revêt souvent une forme d’amour narcissique : je suis en quête du regard désirant de l’autre pour conforter mon amour-propre. Elle peut aussi se vivre sur un mode purement utilitaire : l’autre est l’objet de ma jouissance, il est là pour satisfaire mes besoins physiologiques ou répondre à mes fantasmes. Il est alors « chosifié » : on le désire et on l’aime comme on désire et on aime le bon vin. Mais dès que l’autre ne m’apporte plus rien, dès que mon désir sexuel pour lui diminue, dès que je rencontre une autre personne que je désire davantage, ou qui répond davantage à mes besoins, je m’en détourne.

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

sans amis, personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens1. 

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

philia se fonde sur la réciprocité et un projet commun. Deux individus se choisissent mutuellement pour coopérer à une œuvre commune (koinonia). Si leur relation est fondée sur l’utilité, ils pourront s’unir par exemple autour d’un projet professionnel, associatif ou politique. Si elle est fondée sur le plaisir, ce seront des loisirs ou des activités agréables à partager. Si elle est fondée sur la joie d’être ensemble, ce sera une amitié durable, nourrie par des moments réguliers de partage, ou une vie commune pour des époux. Cette dernière forme d’amitié est la plus parfaite, précise Aristote, car l’autre n’est plus simplement un moyen, mais une fin en soi. Nous aimons l’autre non pas seulement pour ce qu’il nous apporte, mais d’abord, et avant tout, pour ce qu’il est, pour lui-même

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

L’amitié repose ainsi sur un amour bienveillant (eunoia) qui consiste à souhaiter le meilleur pour l’autre et à l’aimer pour lui-même, sans aucune attente hédoniste ou utilitariste. Nous nous réjouissons de son bonheur, nous nous attristons de son malheur et nous avons à cœur de lui permettre de s’accomplir, d’être pleinement lui-même. Dans l’amour philia, notre plus grand désir consiste donc à nous réjouir de la présence de ceux que l’on aime, tout en désirant leur bonheur.

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

Dès lors, le malheur n’est plus lié à ce qu’on n’a pas ou à l’ennui, mais à la privation de ceux que nous aimons, dont la mort est l’expression la plus brutale.

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

l’amitié cesse dès lors que la réciprocité, l’équité ou le projet commun n’existe plus. Ce n’est donc pas comme pour éros la fin de mon désir de posséder qui signe la fin de philia, mais la fin de la possibilité de partager. 

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

ici je ne regarde plus l’autre comme un miroir flatteur de moi-même, mais je me considère dans le regard d’amour que l’autre porte sur moi. Celui qui m’aime me communique le regard qu’il porte sur moi, qui est souvent plus profond et vrai que celui que je pourrais avoir sur moi-même. Quel bonheur d’être aimés dans notre vérité plutôt qu’à travers l’image fausse que nous avons de nous-mêmes ou que nous essayons de donner de nous-mêmes !

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

dans sa dimension ultime, « l’amitié consiste plutôt à aimer qu’à être aimé3 » et il donne en exemple l’amour d’une mère pour son enfant. Peut-on dès lors encore, dans un tel cas, parler de philia ? Nous sommes au-delà de la réciprocité et de l’œuvre commune. Nous sommes face à un amour inconditionnel, qui n’attend rien en retour. La mère donne, sans rien attendre. Or cet amour-don à un nom : agapè.

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

L’amour est patient, il est plein de bonté ; l’amour n’est pas envieux ; l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout5. »

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

amour-agapè peut parfaitement être laïcisé pour désigner tout amour inconditionnel

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

philia dont il s’agit, mais bel et bien agapè. Le concept agapè est très similaire à la notion bouddhiste de compassion (karuna), qui désigne ce désir ardent de venir en aide à tous ceux qui souffrent.

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

Dans la relation amoureuse, ces trois formes du désir peuvent exister. Dans presque tous les cas, éros existe : c’est lui qui crée l’attirance sexuelle et qui donne ce sel si intense au désir.

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

Dans la plupart des cas, éros coexiste avec philia : nous ressentons un désir sexuel pour notre partenaire qui vient combler nos attentes et nos manques, mais nous apprenons à le connaître et, avec le temps, nous nous attachons à lui jusqu’à l’aimer pour lui-même. La plupart des couples qui durent connaissent ces deux formes de désir – celui de posséder et celui de partager – et, bien souvent, ils se succèdent avec le temps. On dira alors que la tendresse et la complicité ont pris le relais de la puissance initiale du désir sexuel et que c’est ce qui fait tenir le couple.

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

Agapè peut aussi se développer au sein de la relation : plus on aime l’autre, plus on est capable de l’aimer de manière inconditionnelle, sans attente et sans possessivité. On souhaite avant tout son bonheur et l’amour qu’on lui porte n’est plus conditionné à celui qu’il nous donne. La journaliste et écrivaine Julie Klotz, dans un beau livre récent sur l’amour, écrit : « C’est un amour affranchi de l’ego qui se situe au-delà de l’émotionnel. Il implique le pardon. Rencontre d’âme à âme, il permet l’alliance entre deux libertés, deux êtres entiers. Libéré de toute concupiscence, convoitise et donc d’égoïsme, sans possessivité, sans appartenance, il est l’amour de tout ce qui ne manque pas6. »

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

je pense qu’un couple équilibré et solide vit ces trois dimensions de l’amour-désir : une sexualité épanouie, une amitié profonde et un amour non conditionné

4 - Les trois dimensions de l’amour-désir

Les trois formes d’amour que nous venons d’évoquer nourrissent notre élan vital et notre désir de différentes manières. Éros augmente notre force désirante à travers la puissance du désir sexuel. Philia ouvre notre cœur et le rend plus désirant à travers la profondeur de la vie amicale ou de la vie de couple. Agapè, enfin, nous fait vibrer dans les plus hautes résonances de l’amour universel et nous fait pénétrer dans le cercle vertueux, presque magique, de la générosité et de l’abondance de la vie

5 - Mystiques du désir

Jésus affirme qu’il n’est pas venu « abolir la loi, mais l’accomplir », en montrant que le sens véritable de la loi religieuse c’est d’éduquer le cœur humain à aimer.

5 - Mystiques du désir

L’amour est la finalité de la loi et lorsqu’on l’oublie, on tombe dans le légalisme, dans la culpabilité, dans la contrainte extérieure qui ne transforme en rien les cœurs

5 - Mystiques du désir

Tout le message des Évangiles est un message d’amour – « Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour3 » ; « Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés4 » – qui invite les humains à agir de manière juste, non par peur de la punition divine ou par fidélité aveugle à la loi, mais par amour.

5 - Mystiques du désir

le Christ ne juge jamais, ne condamne jamais, mais cherche à réorienter le désir des êtres cabossés par la vie qu’il rencontre et qui sont considérés comme des « pécheurs ». Le mot « péché », provient du mot hébreu hata’t qui signifie mal viser, rater la cible. Pour Jésus, celui qui commet un péché est simplement une personne qui oriente mal son désir. Rien ne sert de le punir, de le juger ou de le culpabiliser : il faut rééduquer son désir afin qu’il apprenne à bien l’orienter. Et pour y parvenir, il n’y a qu’un remède : l’amour.

5 - Mystiques du désir

Le Christ réoriente les désirs de ses interlocuteurs (Zachée, la femme adultère, la femme samaritaine, etc.) parce qu’il leur témoigne un amour non jugeant et inconditionnel, mais aussi parce qu’il les réoriente vers Dieu, comme source d’amour infini

5 - Mystiques du désir

ne limitons pas le désir, mais réorientons-le vers sa source infinie et nous pourrons ainsi désirer de manière infinie, sans ressentir aucune souffrance et frustration. La souffrance et la frustration viennent du fait que nous orientons notre désir infini vers des choses finies, qui ne pourront jamais étancher notre soif d’infini.

5 - Mystiques du désir

C’est le sens des paroles de Jésus à cette femme samaritaine qui a eu cinq maris et dont le cœur n’est jamais satisfait (car elle s’abreuve à l’amour-passion qui est fini, alors qu’elle aspire à l’amour divin infini) : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif5. »

5 - Mystiques du désir

C’est aussi ce qu’il entend faire comprendre à ses interlocuteurs qui s’inquiètent de savoir s’ils auront à manger ou un toit : « C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent rien dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? […] Recherchez d’abord le règne et la justice de Dieu, et tout le reste vous sera donné de surcroît6. »

5 - Mystiques du désir

Le message révolutionnaire de Jésus était trop subversif et l’Église, tout en le proclamant, l’a bien vite « recadré », en restaurant une certaine primauté de la loi et la peur de la punition divine. Comme l’a bien souligné le philosophe Henri Bergson dans son dernier livre, Les Deux Sources de la morale et de la religion, l’histoire montre cette perpétuelle oscillation entre une religion « ouverte », « dynamique », qui cultive « l’élan vital » – celle des grands spirituels et mystiques de l’humanité – et une religion « close », « statique », celle des institutions religieuses, qui ont pour première préoccupation de contenir le désir des fidèles et de maintenir leur pouvoir.

5 - Mystiques du désir

comment l’humain peut-il se hisser spirituellement jusqu’au divin ou au sacré ? Mais pour que ce chemin puisse s’ouvrir, encore faut-il le désirer. Toute démarche spirituelle ou mystique commence par le désir

5 - Mystiques du désir

. Il faut d’abord croire que cette Alliance est possible et, ensuite, il faut la désirer

5 - Mystiques du désir

L’une des caractéristiques de la mystique soufie, que l’on retrouve dans tous les courants ésotériques et mystiques, c’est de quitter la vision dualiste, présente chez les Grecs, dans la Bible ou le Coran, qui sépare Dieu et le monde : d’un côté, un Dieu créateur totalement transcendant et d’un autre, le cosmos créé et ses créatures. 

5 - Mystiques du désir

Affirmant la primauté absolue de l’expérience spirituelle sur le dogme et la loi, Rûmî reste en marge de l’islam officiel, mais attire de très nombreux disciples. Il considère la poésie, la musique et la danse comme d’excellents moyens pour contacter et exprimer le divin. Son amour fou pour Dieu s’exprime avec une liberté et une ardeur qui confinent parfois à l’érotisme et transcendent toute religion et toute croyance.

5 - Mystiques du désir

l’expérience intime de l’amour divin abolit tous les murs, toutes les frontières et le sentiment illusoire de dualité.

5 - Mystiques du désir

« Je ne suis pas de ce monde et pas de l’autre, pas du paradis, ni de l’enfer. Je ne suis pas d’Adam ni d’Ève, ni de l’Éden ou des anges de l’Éden. Mon lieu est le sans-lieu, ma trace ce qui ne laisse pas de trace ; ce n’est ni le corps, ni l’âme, car j’appartiens à l’âme du Bien-Aimé.« J’ai abdiqué la dualité, j’ai vu que les deux mondes sont un. C’est Un que je cherche, Un que je contemple. Un que j’appelle. Il est le premier, il est le dernier, le plus extérieur et le plus intérieur. Je ne sais rien d’autre que “Ô lui” et “Ô lui qui est”.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

« Malheur à celui qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède1 », s’écriait Jean-Jacques Rouseau en 1761. Ne plus rien avoir à désirer, en effet, c’est comme ne plus être vivant

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Adolescent, la première fois que j’ai dit à une fille que je désirais sortir avec elle, elle m’a répondu que j’étais très sympa et qu’elle m’appréciait beaucoup, mais qu’elle n’éprouvait pas de désir pour moi car elle me trouvait trop petit. Du coup, j’ai été complexé pendant des années et je n’ai fait que réprimer mon désir d’aller vers d’autres jeunes femmes de peur d’être encore rejeté. Heureusement, à l’âge de 17 ans, une femme un peu plus âgée m’a redonné confiance en moi et m’a permis par la suite d’oser exprimer à nouveau mon désir amoureux. Dans cet exemple, le désir était présent et conscient, mais c’est son expression verbale et le chemin vers sa réalisation qui était bloqué. Cela arrive très fréquemment et il faut souvent un déclic positif, une rencontre soutenante, un changement d’environnement, voire un travail thérapeutique, pour parvenir à oser exprimer son désir et tendre vers son objet.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Jung sera amené, après s’en être éloigné (son père était pasteur), à considérer de manière plus favorable les religions, car elles apportent des réponses aux grandes questions existentielles qui tourmentent l’être humain

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Or, pour lui, la question du sens de la vie est centrale et son évitement peut conduire à des troubles psychiques : « La psychonévrose est dans son sens le plus profond, une souffrance de l’âme qui n’a pas trouvé son sens2 », écrit-il.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Selon Jung, il existe deux grandes voies pour répondre à ce besoin vital de sens : la religion et le processus d’individuation.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Une croyance religieuse structurante fournit en effet à l’être humain un dispositif de sens qui l’aide à vivre et qui répond à son besoin « d’expression mythique », c’est-à-dire son besoin fondamental d’avoir une représentation du monde et de son existence qui satisfasse la totalité de son être

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Cette même expression mythique peut aussi provenir, pour des individus non religieux, d’un travail psychologique et spirituel, que Jung appelle le « processus d’individuation », et qui consiste à devenir l’individu singulier que nous sommes, à accéder à notre véritable personnalité. Il s’agit d’accueillir et de faire grandir ce qui pousse en soi, de conscientiser le mouvement singulier de notre puissance vitale et d’identifier ainsi nos désirs les plus profonds et personnels. 

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Jung est donc convaincu que chaque individu est mû par une force intérieure qui le pousse à s’accomplir, à se réaliser de manière unique (d’où le mot « individuation »).

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

L’élan vital se manifeste pour chaque individu sous la forme d’un appel ou d’une vocation intérieure qu’il doit apprendre à écouter et à suivre s’il ne veut pas passer à côté du sens de sa vie. « Il s’agit de dire oui à soi-même, écrit Jung. C’est dans la mesure où, infidèle à sa propre loi, on ne s’élève pas à la personnalité, que l’on a manqué le sens de la vie4. » Pour y parvenir, Jung nous invite à écouter les messages de notre inconscient, à travers notamment nos rêves et les synchronicités

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

à démasquer notre persona, le masque social que nous portons et qui dissimule notre véritable personnalité ; à intégrer notre part féminine (anima chez l’homme) et masculine (animus chez la femme) ; à reconnaître et traverser notre ombre, cette part obscure de nous-mêmes que nous refoulons ; à apprendre à réconcilier nos polarités et nos dualités et à identifier nos désirs les plus intimes et les plus forts, ceux qui nous mettent dans la joie et auxquels souvent nous n’osons croire. Je suis convaincu que Jung, par son expérience personnelle et thérapeutique (il a soigné des milliers de patients et analysé plus de quatre-vingt mille rêves) a compris une vérité profonde et mis à jour une loi universelle de l’être humain : ce besoin de s’accomplir de manière singulière en réalisant sa personnalité, en accomplissant sa vocation profonde.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

L’Alchimiste, le conte initiatique de l’auteur brésilien Paolo Coelho, met parfaitement en lumière la notion de vocation de vie, que l’auteur appelle « la légende personnelle ». 

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

l’Alchimiste qui va lui apprendre à lire les signes du destin, à écouter son cœur et à suivre ses désirs et ses rêves les plus profonds. Réaliser sa « légende personnelle », c’est une manière poétique de parler de la réalisation du processus d’individuation jungien : tendre vers ce pour quoi on est fait et qui nous met dans l’enthousiasme. Le vrai trésor n’est pas extérieur, mais intérieur : c’est la réalisation de soi

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Jung remarque que le processus d’individuation se met souvent en place vers le milieu de la vie, entre 35 et 50 ans, lorsque les individus se rendent compte qu’ils ne sont pas pleinement satisfaits de leur existence. Avant, nous avons le nez dans le guidon : il nous faut faire des études, gagner notre vie, fonder une famille. Puis survient ce qu’on appelle communément « la crise du milieu de la vie », où nous commençons à nous poser davantage de questions : avons-nous fait les bons choix professionnels et affectifs ? Sommes-nous à notre juste place ? Notre existence est-elle vraiment satisfaisante ? Nous faisons alors le tri entre ce qui vient vraiment de nous (de notre élan vital personnel) et ce qui vient des autres qui ne nous correspond pas.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Personnellement, je n’ai jamais eu à faire cette réorientation car j’ai eu la chance d’identifier très tôt ma vocation : écrire pour aider les autres à mieux comprendre ce que j’avais moi-même reçu et compris de la vie.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Je connais des dizaines de personnes qui cherchent à changer de vie car elles ne s’épanouissent pas dans leur existence actuelle. Toutes ont en commun d’essayer d’être à l’écoute de leur élan vital et de leurs désirs les plus personnels.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

beaucoup hésitent à franchir le pas, à quitter la sécurité financière qu’apporte un emploi stable ou rémunérateur. J’en sais quelque chose pour avoir moi-même pris ce risque en démissionnant d’un poste de directeur littéraire à 30 ans pour me lancer dans l’aventure de l’écriture à plein temps.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

 Je n’ai jamais eu à le regretter, bien au contraire, même si j’ai connu des doutes et des années difficiles financièrement avant que le succès ne soit au rendez-vous. Mais même dans ces moments délicats, je restais porté par mon désir profond de me consacrer totalement à l’écriture et c’est sans doute cette foi et cette persévérance qui m’ont permis, progressivement, de rencontrer le public et de pouvoir vivre uniquement de ma plume.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

« Plus l’âme désire avec intensité, plus elle rend les choses agissantes, et le résultat est semblable à ce qu’elle a souhaité », écrivait le grand théologien médiéval Saint Albert le Grand (XIIIe siècle)

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

l’univers répond bien souvent aux désirs les plus profonds et les plus justes de notre cœur.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Pour se mettre à l’écoute d’eux-mêmes et de leurs désirs intimes, de plus en plus de jeunes adultes décident de voyager. Le voyage peut être une fuite, mais il peut aussi favoriser une mise à distance vis-à-vis d’un environnement culturel et familial qui nous enferme dans une conception trop étroite de la vie et nous empêche parfois d’évoluer selon notre propre personnalité

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

La marche quotidienne d’une vingtaine de kilomètres leur offre le loisir de méditer, de réfléchir à leur vie, de prendre du recul. Mais aussi de se relier à la nature et aux autres. Beaucoup m’ont confié que ce pèlerinage était en fait un chemin vers eux-mêmes, une sorte de quête de soi, afin d’apprendre à écouter les désirs de leur cœur et peut-être de réorienter leur vie

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Voyager ou marcher, c’est s’accorder du temps et de l’espace seul pour “désapprendre” et “réapprendre” sur soi. C’est sortir de l’agitation de son mental et de ses addictions quotidiennes. C’est décider de poser le(s) masque(s) communautaire(s). C’est choisir une forme d’inconnu source d’enseignements et d’inspiration. C’est quitter sa zone de confort, parfois étroite et étouffante. C’est décider d’écouter le désir hurlant de se réapproprier du temps et de l’espace seule. C’est partir à la découverte ou à la redécouverte de soi, d’un soi plus grand. C’est déconstruire pour reconstruire, ou plutôt devrais-je dire “dé-savoir” pour “re-savoir” sur soi.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

 Au début de cette réappropriation du moi, poursuivant le désir profond du “connais-toi toi-même”, j’avais un carnet sur lequel je notais mes rêves, parfois très éclairants, et j’écrivais au fil des jours les choses que j’aimais réellement sur la page de gauche et celle que je n’aimais pas du tout sur celle de droite. Tout ça dans le but d’ancrer vraiment qui j’étais à partir du corps, des choses matérielles et sensibles du quotidien, parce que je sentais que j’étais enfermée depuis longtemps dans divers rôles sociaux, familiaux dans lesquels je n’arrivais pas à lâcher la palme d’or, et que ce que je reflétais à l’extérieur n’était ni ce que j’étais intérieurement, ni ce que je désirais incarner. L’indice majeur de ce décalage était évident : le niveau de stress qui avait envahi ma vie et en avait peu à peu effacé la joie. Il fallait que les choses changent, il fallait commencer par un début : la réappropriation du corps, du cœur, de l’esprit ; la confrontation au monde, seule !

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Il y a six ans, lorsque je suis montée dans cet avion aller simple pour l’Amérique du Sud, l’essentiel dans mon sac à dos de quatorze kilos et dans mon cœur, il y avait bien sûr une appréhension face à ce nouvel et immense inconnu mais je me sentais aussi sereine, légère et libre. Je respirais de nouveau ! Dans cet inconnu immense qui s’offrait à moi, je recevais un nouveau souffle. Le voyage initiatique pouvait commencer.

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

loin des conditionnements et des cages conceptuelles dans lesquelles je me sentais perpétuellement enfermée, au contact de nouvelles expériences choisies, j’ai pu explorer et révéler de nouvelles facettes en moi, acquérir de nouvelles compétences, grandir dans de nouveaux domaines et retrouver la joie d’être. J’ai retrouvé le bonheur de faire de nouveaux choix libres et ciblés, de me sentir grandir, et d’exprimer tous mes traits de caractère parfois opposés, toutes mes dualités, toutes mes forces et toutes mes fragilités. Riche de ces expériences en terres inconnues, j’ai compris que la vie était à l’image du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle : on y apprend toujours sur soi-même, on y rencontre des gens qui nous font grandir, nous soutiennent alors que d’autres ne sont que de passage, on y vit obligatoirement des moments difficiles dans lesquels il faut mobiliser ses propres ressources ; il ne convient pas d’attendre pour avancer (et se transformer) mais il est nécessaire de décider et impulser le mouvement ; enfin, il convient de choisir un cap à suivre, l’ajuster si nécessaire mais toujours persévérer. Si je sais aujourd’hui que je ne suis pas encore la version totalement accomplie de moi-même, la version rayonnante du grand moi mystérieux, je sais que je suis sur le bon chemin et beaucoup plus joyeuse qu’avant ! »

6 - Oser désirer et réorienter sa vie

Lors de ces différents périples, je me suis reconnectée à la nature : grande, belle, intelligente. Je me suis frottée au contact de l’autre : péruvien, équatorien, uruguayen ou pèlerin ; passant, ami ou amant, j’ai eu le temps d’écouter la différence, la profondeur de chacun au-delà des apparences, j’ai aperçu le meilleur comme le pire. Je me suis émerveillée, j’ai pleuré, parfois de joie, parfois de grâce, parfois de colère, parfois de tristesse. Au contact de moi-même, j’ai pris le temps de m’écouter, j’ai accordé du temps à ce que j’aimais, la réflexion, le dessin, la lecture philosophique, la musique, la danse, l’écriture ; j’ai affermi mon indépendance et j’ai laissé s’exprimer en moi de nouvelles facettes. J’ai réappris à entendre mon corps, mon cœur, et mon ego fripon bien-aimé. J’ai aperçu le meilleur et aussi appris à traverser mes ombres cachées

Conclusion

« Nous ne désirons pas une chose parce qu’elle est bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons. »Baruch Spinoza (XVIIe siècle)

Conclusion

sans désir, aucune vie ne vaut la peine d’être vécue

Conclusion

il existe deux grandes clés de compréhension du désir humain. Celle du désir comme manque, mise en lumière par Platon, reprise par la plupart des écoles de sagesse du monde antique et confirmée par les neurosciences ; et celle du désir comme puissance, esquissée par Aristote avant d’être parfaitement explicitée par Spinoza, puis par Nietzsche, Bergson ou Jung

Conclusion

le désir-manque, qui nous apporte du plaisir et qui peut nous amener à désirer nous améliorer, mais qui peut aussi nous conduire à la convoitise, à l’envie et à l’insatisfaction permanente

Conclusion

le désir-puissance, qui nous élève jusqu’à la joie parfaite, mais qui peut aussi nous conduire à une forme de domination ou d’excès (l’hubris des Grecs), s’il n’est pas réglé par la raison.

Conclusion

Notre existence oscille bien souvent entre les deux, et nul doute que si nous aspirons à la sérénité et à la joie, il est nécessaire d’apprendre à discerner et à bien orienter nos désirs. Mais la manière dont nous orientons nos désirs n’a pas seulement un effet sur notre vie personnelle : elle impacte aussi notre entourage, la société dans laquelle nous vivons et aujourd’hui la planète entière.

Conclusion

Dans son livre Avoir ou être. Un choix dont dépend l’avenir de l’homme (1976), le psychanalyste et sociologue américain Erich Fromm affirme que du choix que l’humanité fera entre ces deux modes d’existence dépend sa survie même. Car notre monde explique-t-il est de plus en plus dominé par la passion de l’avoir, concentré sur l’acquisivité, la puissance matérielle, l’agressivité, alors que seul le sauverait le mode de l’être, fondé sur l’amour, l’accomplissement spirituel, le plaisir de partager des activités significatives et fécondes. Si l’homme ne prend pas conscience de la gravité de ce choix, il courra au-devant d’un désastre psychologique et écologique sans précédent : « Pour la première fois dans l’histoire, la survie physique de la race humaine dépend d’un changement radical du cœur humain1. » Publié en 1976, cet ouvrage n’a pas pris une ride et se révèle on ne peut plus pertinent.

Conclusion

Une des particularités du désir de l’être humain, en effet, c’est qu’il est infini. S’il place essentiellement son désir dans le domaine de l’avoir, l’être humain demeurera un éternel insatisfait et restera prisonnier des pulsions de son cerveau primaire qui ne connaît pas de limites.

Conclusion

Cette incapacité du cerveau humain à se modérer naturellement dans cette quête de plaisir l’incite à désirer toujours plus. Ainsi que nous l’avons vu, c’est le moteur de nos sociétés consuméristes et la cause de la crise environnementale, comme le reconnaît Sébastien Bohler : « Continuer à promouvoir un système économique qui encourage nos grands renforceurs primaires est sans doute la pire des choses à faire, et c’est malheureusement ce que nous faisons depuis maintenant plus d’un siècle, ce qui est en train de nous coûter notre planète2. »

Conclusion

À l’inverse, si nous sommes davantage mus par un accroissement de notre être, nous ne sommes jamais ni frustrés, ni insatisfaits : la connaissance, l’amour, la contemplation de la beauté, le progrès intérieur nous comblent, sans jamais nous donner ce sentiment de frustration, typique des désirs orientés vers l’avoir. Certes, nous souhaitons toujours continuer à connaître, à aimer, à progresser, mais cette quête nous conduit de joie en joie et n’a aucune conséquence négative sur les autres ou la planète. Qu’on me comprenne bien cependant : je ne méprise en rien les biens matériels et je suis convaincu qu’il faut trouver un équilibre entre la matière et l’esprit, l’avoir et l’être. Lorsqu’on vit dans une profonde insécurité financière, il est difficile de cultiver sereinement sa vie intérieure. Mais force est de reconnaître que notre monde contemporain privilégie largement l’avoir à l’être, la compétition à la collaboration, la reconnaissance sociale à l’estime de soi, et les conséquences de cette idéologie se révèlent très lourdes à porter pour les individus et dévastatrices pour la planète.

Conclusion

Tout être humain aspire à être autant qu’à avoir, et lorsqu’il castre ses besoins de l’âme aux seuls profits de ceux du corps, lorsqu’il enferme sa quête d’infini dans des choses finies, lorsqu’il délaisse sa vie intérieure pour ne se préoccuper que de sa place dans le monde extérieur, il se mutile lui-même et devient un prédateur pour les autres. Or la culture dominante de notre époque nous pousse dans cette voie.

Conclusion

Dans son ouvrage L’Homme unidimensionnel, le philosophe et sociologue américain Herbert Marcuse qualifie de « désublimation répressive » ce processus à l’œuvre dans nos sociétés de consommation qui consiste à déconnecter les désirs divers des individus de leurs sublimations classiques, centrées sur la vie de l’âme, pour les réorienter, à travers le matraquage publicitaire, vers la seule acquisition des marchandises.

Conclusion

Dans sa magnifique chanson « Foule sentimentale », Alain Souchon exprime aussi, de manière plus poétique, ce décalage entre nos aspirations profondes à être et cette injonction à avoir, qui domine nos sociétés occidentales depuis des décennies :« On nous infligeDes désirs qui nous affligent »

Conclusion

Ce qui est encourageant dans les témoignages de ces personnes qui décident de changer de vie, et dans ceux, évoqués plus haut, de ces jeunes qui ne veulent plus travailler selon le modèle actuel, c’est cette insistance à vouloir réorienter leurs désirs de l’avoir à l’être

Conclusion

de plus en plus de personnes, et notamment des jeunes, ressentent de manière impérieuse ce besoin de se tourner vers des biens spirituels, d’amour, de connaissance, plutôt que vers des biens matériels. Au confort et au prestige social que confère une belle situation, ils préfèrent une vie sobre et heureuse qui répond à leurs désirs profonds d’accomplissement de soi, de justice sociale et de respect de la planète. À la domination et à la compétition, ils préfèrent la collaboration. Plutôt que de réussir dans la vie, ils préfèrent réussir leur vie… et vivre en harmonie avec les autres humains et toutes les espèces vivantes de notre belle planète.

Conclusion

le désir est le moteur de nos existences et il convient d’apprendre à le cultiver mais aussi à bien l’orienter. Ce dernier point est d’autant plus nécessaire que notre désir est créateur de valeur. C’est le désir de chacun qui crée le désirable. « Nous ne désirons pas une chose parce qu’elle est bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons3 », écrit Spinoza

Conclusion

« Nous appelons bon ou mauvais, écrit encore Spinoza, ce qui est utile ou nuisible à la conservation de notre être, c’est-à-dire ce qui augmente ou diminue, aide ou contrarie notre puissance d’agir. En tant donc que nous percevons qu’une chose nous affecte de joie ou de tristesse, nous l’appelons bonne ou mauvaise4. »

Conclusion

La conduite d’une vie est donc propre à chaque individu et relative à sa nature singulière. Reste toutefois que pour bien mener leur vie, tous les individus doivent suivre des idées adéquates. S’ils sont mus par des idées inadéquates, ou leur imagination, ils poursuivront des passions tristes et pourront commettre des actes violents ou répréhensibles envers les autres. C’est pourquoi Spinoza prend soin de préciser : « En tant que les hommes sont dominés par leurs passions, ils peuvent s’opposer les uns aux autres […]. Dans la seule mesure où les hommes vivent sous la conduite de la Raison, ils s’accordent toujours nécessairement par nature. »

Conclusion

Si nous vivions dans une société où tous les humains étaient libérés de l’esclavage des passions tristes pour vivre dans la liberté intérieure éclairée par leur raison, il n’y aurait nul besoin de lois, d’interdits et de police. Les lois religieuses et civiles seront utiles à la vie en société – et même nécessaires pour les secondes –, tant que nous serons esclaves de nos passions et incapables d’orienter nos désirs par la raison pour grandir en joie et en sagesse.

Conclusion

Pour le dire de manière un peu différente : pour mener une existence juste et bonne, nous devons mettre de la conscience sur nos désirs. J’ai ce désir : est-il juste de le réaliser pour moi-même et pour les autres ? Nous croyons mettre de la conscience sur nos désirs lorsque nous raisonnons. Mais en fait, nous ne faisons bien souvent que rationaliser a posteriori un désir et notre raisonnement est faussé par la force de ce dernier ! Ce phénomène s’observe jusque dans la démarche scientifique. Il a pour nom « le biais de confirmation d’hypothèse »

Conclusion

Bien souvent, nous passons notre temps à justifier nos désirs par des arguments erronés qui ne sont que des alibis pseudo-rationnels

Conclusion

Mettre de la conscience sur ses désirs suppose une très grande soif de vérité. C’est parce que j’ai un très grand désir de vérité que je serai capable de dépasser mes autres désirs, mes opinions et mes croyances, et de les soumettre objectivement à la vérité des faits et du réel

Conclusion

C’est le fondement même de la démarche philosophique, dont la vérité est la norme. Aristote avait une profonde amitié pour Platon, mais il affirmait que la recherche de la vérité était supérieure à l’amitié, ce qui l’a conduit à contredire Platon en de nombreux points.

Conclusion

comme le fait encore remarquer Sébastien Bohler, dans les faits c’est plutôt notre cortex qui obéit aux injonctions de notre striatum : « Notre striatum est le même que celui d’un singe ou d’un rat. Ce qui nous distingue de ces espèces, c’est l’usage collectif que nous faisons de notre cortex. Et malheureusement les choses ont fait que ce cortex prend ses ordres du striatum.

Conclusion

“Le cortex propose, le striatum dispose.” […] L’immense cortex d’Homo sapiens, en lui offrant un pouvoir toujours plus étendu, a mis ce pouvoir au service d’un nain ivre de pouvoir, de sexe, de nourriture, de paresse et d’ego. L’enfant surarmé n’a aujourd’hui plus de limites5. »

Conclusion

Comme je viens de l’évoquer, tout repose finalement sur cette question du désir de vérité. Si ce dernier est supérieur à nos autres désirs, alors nous pourrons raisonner de manière juste et utiliser notre cortex pour maîtriser notre striatum. Chez certains individus, le désir de vérité est inné. Personnellement, j’ai toujours eu cette quête et c’est la raison pour laquelle, un peu comme Obélix, je suis tombé dans la marmite de la philosophie dès l’adolescence et que la passion de la vérité ne m’a plus jamais quitté. J’ai toujours préféré une vérité douloureuse, et qui allait à rebrousse-poil de mes autres désirs, qu’une illusion agréable et flatteuse. Mais pour tous ceux chez qui ce désir est moins inné, je suis convaincu qu’il peut croître par l’éducation. C’est la raison pour laquelle je me suis investi depuis 2014 dans le développement des ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents. Ceux-ci, en effet, développent chez les jeunes des habiletés de pensée, un esprit critique, une meilleure capacité d’écoute de l’autre, et leur donnent le goût du vrai

Conclusion

Combien de fois ai-je vu des enfants changer d’avis lors d’un atelier parce qu’ils avaient été convaincus par les arguments d’un autre enfant et me dire ensuite : « On pense mieux ensemble. » Et si on pense mieux ensemble, c’est parce qu’on recherche ensemble ce qui est vrai, au-delà de tous nos a priori et préjugés.

Conclusion

« Il est urgent de rendre la philosophie populaire ! » s’écriait déjà Diderot et Montaigne était convaincu qu’elle permettrait aux enfants d’avoir une « tête bien faite », et pas seulement une « tête bien pleine ».

Conclusion

la survie de nos sociétés dépend aussi de cette juste orientation de nos désirs et cela ne peut se faire sans qu’ils soient polarisés, de manière ultime, par le respect du vivant, le souci d’autrui et la recherche de la vérité. Il est donc plus que jamais nécessaire de mettre de la conscience sur nos désirs : tel est sans doute le plus grand défi de notre époque.

Conclusion

Si les citoyens n’écoutent que les informations qui les confortent dans leurs désirs et dans leurs convictions et ne sont plus capables d’écouter les arguments des autres, plus aucune démocratie ne pourra fonctionner. Il est nécessaire d’avoir une compréhension commune de la réalité qui nous entoure, sans quoi nous ne sommes plus une nation. Et cette question renvoie à celle de la vérité : si nous ne sommes pas tous véritablement désireux de discerner le vrai du faux, nous ne pourrons plus longtemps vivre ensemble. Chacun ira chercher les informations qui confortent son point de vue et ses désirs, peu importe leur véracité. Il n’y aura dès lors plus de débat démocratique possible, débat qui ne peut être fondé que sur la bonne foi et le désir de chacun à rechercher la vérité en vue du bien commun.

Bookmarks