En Spiritualité, il n’y a rien à atteindre, Tu es déjà Cela (au-delà de l’identification aux formes)

Témoignage de Dan Speerschneider

Un ami, Michel, qui est présent au stage de neuf jours que j’anime en ce moment, m’a posé une question simple et essentielle. Il a été, disons, un peu parachuté dans ce stage sans vraiment savoir à quoi s’attendre. Jusque-là, il connaissait surtout le développement personnel, et a donc été naturellement dérouté par la radicalité de la proposition. À la fin de chaque investigation, quelque chose se révèle. Il pensait que c’était un état émotionnel, une expérience particulière. Mais ce qui s’ouvre alors, ce n’est pas un état passager, ni une émotion, ni même une compréhension mentale. C’est ce que nous sommes déjà, et que seule l’identification à une forme avait momentanément voilé. J’ai donc écrit ce texte pour lui — et peut-être pour d’autres — afin d’éclairer de l’intérieur ce qu’est cet enseignement vivant, souvent paradoxal pour le mental, où l’on est invité à reconnaître sa véritable nature : la conscience infinie.

Un enseignement non-duel véritable ne vient pas d’une personne. Il émerge d’un espace de présence sans point de vue particulier. Il ne parle pas depuis une position ni depuis un savoir constitué, mais répond simplement à ce qui est là, sans détour, avec justesse. Il ne propose ni méthode, ni système, ni voie à suivre. Il ne cherche pas à convaincre ni à séduire. Il montre ce que tu n’as jamais perdu. Ce que tu es. Ce type d’enseignement ne se juge pas à sa forme, ni même à son contenu, mais à la source d’où il jaillit. Toute parole qui découle de la compréhension ou de l’amour contient une résonance singulière, capable de conduire celui qui l’écoute vers la même source en lui. L’enseignement véritable ne transmet rien : il révèle. Il n’est pas là pour ajouter, mais pour dissoudre. Il est un jeu de dévoilement. Une invitation à voir par soi-même.

Un tel enseignement ne s’enseigne pas. Il ne se transmet pas comme un savoir, mais se révèle dans la présence même. Il agit un peu comme un miroir : il reflète sans imposer, il éclaire sans forcer. Et ce qu’il donne à voir, c’est toi - non pas toi en tant qu’individu, mais en tant que ce regard sans forme, sans histoire. C’est pourquoi on le nomme parfois un non-enseignement. Parce qu’il ne t’apprend rien. Il t’invite à voir, à « quitter le vu pour vraiment voir ».

Il ne s’adresse jamais à un être humain générique, mais à celui ou celle qui se tient là, maintenant. Certains, suffisamment mûrs, n’auront besoin que d’un mot. Pour d’autres, le mental actif et insatisfait demandera à être entendu encore et encore. Il faudra alors élaborer des raisonnements fins, répondre à chaque objection avec précision, jusqu’à ce que l’intellect lui-même s’épuise dans le silence dont il avait émergé. Comme on le dit parfois : quand le bois est sec, une étincelle suffit. Quand il est humide, il faut d’abord le sécher.

Peter Fenner dit que l’enseignement profond ne dédaigne pas la complexité du mental : il l’honore, puis la dépasse. Une paix, une clarté, une simplicité que l’on ne peut fabriquer.

Certaines portes semblent passer par la voie de la connaissance, comme l’investigation du Soi popularisé notamment par Ramana Maharshi, qui interroge en profondeur l’identité du sujet, jusqu’à ce que la question se dissolve avec celui qui la pose. D’autres passent par un retournement à 180 degrés de ce qui est perçu vers ce qui perçoit - comme dans la vision sans tête de Douglas Harding, où l’on découvre qu’il n’y a personne derrière les yeux, mais un espace clair, transparent et conscient, disponible, omniprésent et sans centre.

Il y a aussi la voie du sentir : descendre dans la tactilité du corps, goûter directement les sensations sans les filtrer par le mental, sentir ce qui est là comme c’est, sans étiquettes et sans défense. Cette voie n’est pas une alternative à la connaissance, je dirais qu’au final elle en est simplement une expression plus tactile, plus immédiate. Là où l’investigation du Soi questionne les formes, le sentir les laisse se déployer sans commentaire. Il ne cherche pas à comprendre ce qui est ressenti, mais à s’y ouvrir. Et dans cette ouverture, une chose devient claire : ce qui sent n’est pas séparé de ce qui est senti. Sentir pleinement, c’est non duel. Vous ne pouvez pas penser et sentir en même temps. Sentir c’est déjà reconnaître. Car dans l’accueil d’une sensation, d’une vibration, d’un inconfort, il n’y a pas de place pour une entité séparée. Le corps cesse d’être une chose vue de l’extérieur. Il devient transparence, résonance, passage. La moindre contraction devient un appel au relâchement, un chemin vers la dissolution de la frontière entre intérieur et extérieur. Dans cette écoute silencieuse du corps vivant, ce n’est pas seulement une détente qui survient. C’est une reconnaissance. Non pas d’un savoir, mais d’un être. Le Soi se laisse sentir, non comme une idée, mais comme ce qui rend toute sensation possible. Le sentir devient alors une porte ouverte sur la présence, une manière d’être sans séparation. Ce n’est pas une technique. C’est un basculement de posture. Une confiance dans l’intelligence du vivant. C’est pour cette raison que j’ai conçu une méditation intitulée « Connaître c’est pénétrer », que vous pouvez retrouver sur ma chaîne YouTube : https://youtu.be/8YEHUsBAh6U. Elle invite à plonger dans cette écoute intérieure, à prendre contact avec la matière sensible du corps, et à voir par soi-même comment le soi se révèle dans l’expérience directe.

Et puis il y a la voie du clown : une voie surprenante, joyeuse, où l’on met en scène l’ego, on l’exagère, on le caricature, on le laisse s’exprimer avec outrance - jusqu’à ce que sa mécanique se révèle dans toute sa vacuité. C’est une forme de dévoilement par le jeu. Le rire, l’absurde, la tendresse aussi, peuvent ainsi devenir des seuils de désidentification.

D’autres fois, c’est par le non-savoir que s’ouvre l’espace de ta véritable nature : par exemple, dans le jeu de révélation « Du sentiment de manque à la plénitude », en interrogeant en douceur le sentiment d’incomplétude par la question « pourquoi » posée de façon radicale jusqu’à ce qu’il laisse place à un non savoir, un ultime je ne sais pas, un silence sans conclusion.

Aucune de ces portes n’est bien entendu exclusive. Ce qui compte, ce n’est pas la porte. C’est ce vers quoi elle ouvre - ou plus exactement, ce qu’elle permet de reconnaître. Et parfois, c’est en cessant de frapper qu’on réalise qu’il n’y avait rien à franchir. Dans la tradition zen, on parle parfois d’une « porte fantôme » : une ouverture apparente, dont la traversée révèle qu’elle n’a jamais été là. Rûmî disait : « J’ai tant frappé à ta porte, Vérité. J’ai cogné, cogné jusqu’au sang. Un jour, la porte s’est ouverte — et j’ai su que j’avais frappé de l’intérieur. »

Même le « je suis », tant qu’il est vécu comme personnel, peut servir de seuil. Quand on se croit encore être « quelqu’un », alors la simple présence impersonnelle du « je suis » devient une porte d’entrée vers cela qui est. Mais une fois reconnu que même le « je suis » est un phénomène perçu, il se dissout dans l’indicible.

Et pourtant, il peut être nécessaire d’arpenter les chemins avant de reconnaître qu’in fine, ils n’allaient nulle part. Baliyani l’a exprimé ainsi : « Ce dont il est question ici ne peut être trouvé par la recherche ; et pourtant, ce sont bien les chercheurs qui le découvrent. »

Et Jésus, dans l’Évangile de Thomas, dit : « Que celui qui cherche ne cesse de chercher jusqu’à ce qu’il ait trouvé. Et quand il aura trouvé, il sera troublé. Et lorsqu’il sera troublé, il sera émerveillé. Et lorsqu’il sera émerveillé, il régnera. » (logion 2)

C’est pour cela qu’on ne peut figer cet enseignement dans une règle ou une instruction fixe. Un jour, il pourra inviter à sentir ce qui est là sans jugement. Un autre jour, il dira : laisse tout cela et ne fais rien. Ce n’est pas une contradiction. C’est une réponse toujours vivante, ajustée à une personne particulière, à un moment « t », une réponse absolument libre.

Comme le disait Maître Eckhart : « Celui qui cherche Dieu par une voie unique le perd, car Dieu est caché dans la voie. Mais celui qui cherche Dieu sans voie le trouve tel qu’il est — la vie même. »

Ce que pointe l’enseignement véritable n’est pas un état. Ce n’est pas un savoir. C’est une reconnaissance simple, directe, sans détour que Je suis ce par quoi tout est connu, et ce dont tout est fait. Et une fois que cela est vu, toute forme peut tomber. La parole a rempli son rôle et le silence n’a plus besoin de mots pour se dire.

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